Le football congolais, outil d’influence régionale
Vue depuis les bords du fleuve, la montée en puissance de la sélection A’ du Congo-Brazzaville ne se résume pas à une succession de scores. Les chiffres, pourtant éloquents – victoire face à la Guinée équatoriale en décembre dernier après un nul prometteur une semaine plus tôt – traduisent un changement de posture stratégique. Dans une zone d’Afrique centrale marquée par de fortes rivalités, le onze congolais devient un instrument subtil de dialogue, offrant à Brazzaville un canal de soft power complémentaire aux forums diplomatiques plus officiels.
Les conseillers sportifs du ministère des Affaires étrangères, sollicités en marge du dernier sommet de la CEEAC, n’hésitent plus à évoquer « l’empreinte de la diplomatie de la pelouse ». L’objectif affiché est clair : consolider un leadership régional pacifique, en capitalisant sur une passion populaire qui transcende clivages ethniques et frontières politiques.
CHAN 2025, une vitrine stratégique pour Brazzaville
Le Championnat d’Afrique des nations, réservé aux joueurs évoluant dans les championnats domestiques, prend aujourd’hui une dimension qui dépasse la stricte compétition. En août 2025, le Congo B entrera dans l’arène face au Soudan B, avant de croiser la route du Sénégal B puis du Nigeria B. Placée dans le groupe D, la sélection congolais affiche un compteur vierge, comme ses trois adversaires, mais bénéficie d’un atout majeur : une dynamique positive depuis la fin de l’année 2024.
Les observateurs rappellent que le CHAN offre une exposition médiatique mesurable : l’édition 2023 avait généré plus de 400 millions d’impressions numériques selon la CAF. Dans ce contexte, chaque match du Congo devient une tribune, et la performance collective un narratif diplomatique véhiculé en temps réel auprès des chancelleries africaines et partenaires internationaux.
Une préparation technique articulée autour de la stabilité
Le sélectionneur Denis Lavagne, technicien français confirmé, insiste depuis plusieurs mois sur la continuité de groupe. Malgré deux défaites en amical face au Sénégal B et au Cameroun B début 2023, la cellule de performance a choisi de capitaliser sur une ossature défensive déjà rodée. « Nous devons transformer la solidité psychologique en expression tactique », confiait récemment l’entraîneur lors d’un point presse à Kintélé.
L’encadrement a également misé sur des cycles de micro-stage à Pointe-Noire, privilégiant la réhabilitation des charges de jeu et l’intégration de profils offensifs comme Bercy Djimou et Prince Obongo, auteurs chacun d’une passe décisive lors de la dernière double confrontation face à la Guinée équatoriale. Dans un écosystème où l’exportation précoce de talents prive souvent les sélections nationales de leur élite, la capacité à maintenir ces joueurs dans le championnat local jusqu’en 2025 constituera un baromètre crucial.
Retombées économiques et cohésion sociale
Au-delà de la pelouse, l’impact économique du CHAN pour le pays fait l’objet d’estimations précises. Selon les chiffres avancés par l’Observatoire congolais de la conjoncture sportive, un parcours jusqu’en quart de finale pourrait attirer l’équivalent de 4 millions de dollars en droits de diffusion et sponsoring additionnels, sans compter la demande accrue pour l’hôtellerie et les services de transport. Si l’hypothèse d’une organisation de certaines rencontres amicales de préparation à Brazzaville se confirme, l’effet d’entraînement sur les petites et moyennes entreprises locales pourrait se manifester immédiatement.
La cohésion sociale, facteur souvent moins quantifiable, n’est pas en reste. Les célébrations spontanées après la victoire de décembre 2024 ont montré une rare communion des quartiers de Talangaï à Mfilou, offrant un contre-champ médiatique aux questions sécuritaires régulièrement mises en avant par certaines agences internationales.
Perspectives et diplomatie du ballon rond
À l’approche du coup d’envoi estival, les signaux convergent : le Congo B n’aborde pas le CHAN en simple outsider. L’optimisme demeure mesuré, car la profondeur d’effectif du Nigeria ou la tradition sénégalaise du jeu rapide constituent autant de défis exigeants. Néanmoins, la fenêtre sportive ouvre un espace de narration positive dont Brazzaville compte bien se saisir, renforçant la visibilité de ses réformes économiques et de son agenda d’intégration régionale.
« Le football est l’unique langage africain compris sans traduction », rappelait récemment un diplomate gabonais en poste dans la capitale congolaise. À travers le parcours de la sélection A’, c’est donc toute une stratégie d’influence, subtile mais résolue, qui se dessine – confirmant que, des tribunes du stade Alphonse-Massamba-Débat aux salons feutrés des chancelleries, le sifflet final n’est jamais vraiment la fin du match.