Langues kongo et héritages nilotiques
Depuis quelques mois, chercheurs et étudiants brazzavillois redécouvrent l’œuvre de l’enseignant Michel Mboungou-Kiongo, ancien dirigeant de Télé Congo, qui plaide pour une relecture des passerelles linguistiques liant l’Égypte pharaonique aux langues kongo, et notamment au kikuni parlé sur la côte atlantique.
Son observation centrale est simple : des racines sonores, des images mentales et des fonctions grammaticales se répondent d’un bout à l’autre du continent, comme si un fil rouge historique avait survécu aux migrations, aux empires et aux traductions successives opérées par chaque génération.
Mboungou-Kiongo cite le prénom égyptien Nefer, symbole du beau, qu’il rapproche de l’expression kikuni « ku nièfe », littéralement « être agréable à contempler ». Similarité phonétique d’abord, mais également convergence sémantique : la beauté y est décrite comme qualité active, façonnant le regard collectif.
Ptah, Pata et les croisements créateurs
Le même procédé l’amène vers Pata, prénom féminin kuni. Le verbe « pata » signifie modeler l’argile, créer. Or le dieu égyptien Ptah, patron de Memphis, était invoqué comme Verbe créateur. L’homophonie questionne : hasard acoustique ou souvenir d’un ancien foyer culturel commun ?
Pour étayer la correspondance, l’auteur rappelle que l’égyptien ancien s’écrivait sans voyelles apparentes, comme l’hébreu plus tard. Ainsi, P-T-H pouvait retentir Pata, Peta ou Potha selon les régions, laissant la place aux innovations régionales dont le kikuni conserve peut-être l’écho.
Le récit dépasse la linguistique et plonge dans l’histoire politique. Sous Akhenaton, la fondation d’Akhet-Aton attira des artisans venus de Nubie, du Levant et, selon certaines tablettes, de contrées kongoïdes. La langue commune de chantier aurait nourri l’embryon de l’hébreu, avant d’émigrer vers Canaan.
Exodes antiques et diffusion des mots
Après la mort du pharaon, le vizir Aï, devenu roi, rétablit le panthéon traditionnel et expulsa les partisans d’Aton. Cette marche forcée, décrite par plusieurs égyptologues, contribua à disséminer termes et mythes. Certaines particules verbales retrouvées en Judée font écho aux préfixes kongo.
Mboungou-Kiongo propose également un rapprochement entre Sekhmet, compagne de Ptah à tête de lionne, et le verbe kikuni « sekmè », se stabiliser après décantation. La métaphore est parlante : la déesse apaise colères et épidémies, tandis que l’eau clarifiée devient utilisable, symbole d’ordre restauré.
Méthodes scientifiques et débats actuels
Les sceptiques objectent que les coïncidences phonétiques sont fréquentes sur un continent où la racine CV-CV domine. L’universitaire reconnaît la prudence nécessaire ; il multiplie tests de signification croisée, comparaisons morphologiques et analyses contextuelles pour écarter le mirage sonore, plaçant chaque mot dans son environnement rituel.
Sa démarche s’appuie sur l’archéologie, la génétique et la toponymie. Les relevés ADN publiés par l’université du Cap confirment des circulations bantoues vers la vallée du Nil entre le deuxième et le premier millénaire avant notre ère, sans toutefois préciser l’amplitude démographique de ces flux.
Grâce au consortium PaxLingua, une équipe mixte Congo-Égypte travaille à l’alignement automatique de dictionnaires. L’algorithme compare motifs trilitères égyptiens et radicaux CV kikuni afin de mesurer leur taux de correspondance statistique, étape indispensable pour dépasser l’impression d’une simple ressemblance sonore.
En parallèle, les griots de la côte de Loango enregistrent contes et chants liés aux ancêtres navigateurs. Certains refrains mentionnent « Mefele », héros solaire que l’anthropologue Ibrahima Sow rapproche de l’épithète Nefer-Ra. La tradition orale pourrait donc conserver des racines bien plus anciennes qu’on ne l’imaginait.
Résonances contemporaines à Brazzaville
Pour la jeunesse brazzavilloise, ces correspondances nourrissent un sentiment d’appartenance panafricaine. « Voir le kikuni rencontrer l’égyptien me pousse à apprendre ma langue maternelle », confie Bénédicte Nsikou, étudiante à Marien-Ngouabi. Les réseaux sociaux relaient ses vidéos où elle compare proverbes de la Sangha et hiéroglyphes.
Le ministère congolais de la Culture encourage cette curiosité en finançant, depuis 2022, un programme de numérisation des langues kongo. Objectif : créer de nouvelles ressources pédagogiques et faciliter la comparaison avec les corpus nilotiques, dans une logique d’intégration au grand projet de Renaissance africaine défendu par l’Union africaine.
Les philologues de l’université de Kisangani rappellent toutefois la nécessité de publier dans des revues à comité de lecture. « La parenté ne se décrète pas, elle se démontre par chaînes régulières de correspondances », insiste le professeur Kabwita, tout en saluant l’intuition de Mboungou-Kiongo comme piste de recherche prometteuse.
Un premier séminaire international doit se tenir à Pointe-Noire au printemps prochain. Linguistes, historiens et spécialistes des sciences cognitives y confronteront corpus de chansons traditionnelles, tablettes ostraca et bases de données lexicales. Le défi sera de transformer l’engouement populaire en protocole scientifique rigoureux et durable.
Vers une conscience culturelle renouvelée
Sans prétendre résoudre toutes les énigmes, cette démarche illustre la vitalité de la recherche congolaise et son ouverture au dialogue continental. Elle montre qu’une identité nationale forte s’épanouit lorsqu’elle se sait partie prenante d’une aventure civilisatrice plus vaste que ses frontières actuelles.
Au-delà des débats érudits, rapprocher Nefer de nièfe ou Ptah de pata rappelle une évidence : la culture africaine se construit par échanges incessants. Reconnaître ces passerelles n’efface pas la diversité, mais en souligne la profondeur historique et invite à un dialogue renouvelé entre générations.