Un nouveau souffle pour la fonction publique congolaise
Mardi après-midi, dans une salle sobre du ministère chargé de la Réforme de l’État, trente fonctionnaires ont brandi leur attestation en suivi-évaluation axé sur les résultats. Derrière les sourires, un même espoir: rendre l’action publique plus lisible pour les citoyens de Brazzaville.
La cérémonie, présidée par le ministre délégué Luc Joseph Okio, illustre la volonté gouvernementale de professionnaliser la gestion des programmes. « Nous refusons l’approximation ; place aux preuves », a lancé le membre de l’exécutif sous les applaudissements d’un parterre majoritairement jeune.
Au-delà du symbole, cette remise d’attestations s’inscrit dans un vaste projet de modernisation de la fonction publique, mené depuis plusieurs années avec l’appui de partenaires techniques et financiers, dont la Banque mondiale et certains organismes de coopération sud-sud.
Une formation mêlant théorie et pratique
Dispensé en ligne puis en présentiel du 12 au 16 mai, l’atelier a alterné exposés méthodologiques et études de cas tirées des réalités congolaises. Les participants ont appris à construire un cadre logique, définir des indicateurs SMART et analyser les écarts entre prévisions et réalisations.
Roger Ongouaomo-Moké, conseiller à l’évaluation des réformes et maître d’œuvre pédagogique, insiste sur la dimension collaborative. Selon lui, « un système de suivi-évaluation ne vit que si les services partagent leurs données et se sentent coresponsables des résultats ».
Pour consolider les acquis, chaque stagiaire devra réaliser, d’ici décembre, un projet pilote dans son ministère. Un comité académique examinera la qualité des indicateurs, l’utilisation des budgets et l’impact social avant de valider définitivement la certification professionnelle.
Luc Joseph Okio plaide pour la redevabilité
Dans son allocution, le ministre a rappelé que la Constitution consacre le droit des citoyens à l’information sur l’action publique. « Nos compatriotes doivent savoir où va chaque franc », a-t-il martelé, citant les attentes croissantes en matière de gouvernance.
Le membre du gouvernement observe que la pandémie de Covid-19 a renforcé la nécessité de rendre compte rapidement des projets financés par les bailleurs. Sans outils robustes, explique-t-il, le suivi des stocks médicaux ou des aides sociales devient aléatoire et coûteux.
Selon ses services, les prochaines lois de finances intégreront une ligne budgétaire dédiée à la collecte de données et à l’évaluation d’impact. Cette mesure devrait rassurer les investisseurs tout en facilitant la priorisation des dépenses publiques.
Un Plan stratégique 2025-2029 en préparation
Le ministère élabore actuellement le Plan stratégique de la réforme 2025-2029, fruit d’un diagnostic mené dans quatorze départements ministériels. Les consultants ont relevé des disparités importantes dans la gestion des archives et la disponibilité d’indicateurs fiables.
Inspiré des standards de l’Union africaine, le futur document définira des cibles chiffrées pour chaque objectif de performance. Les administrations devraient ainsi disposer d’une boussole commune, tandis qu’un tableau de bord national consolidera les données collectées sur le terrain.
Pour sécuriser la démarche, des séances de restitution seront organisées auprès de la société civile et des collectivités locales. Le but est de garantir une appropriation collective et d’éviter que le plan ne reste un simple document de référence.
Des ambassadeurs du changement dans chaque ministère
Les trente certifiés proviennent de secteurs variés, de la santé aux travaux publics. Chacun a signé une charte d’engagement prévoyant des sessions de mentorat auprès de leurs collègues. Les profils féminins représentent 40 %, un signal encourageant pour l’égalité professionnelle.
Annie-Grace Mboumba, ingénieure des statistiques, compte appliquer ses nouvelles compétences au suivi des chantiers routiers. « Un kilomètre livré en retard peut coûter cher aux transporteurs. Désormais, nous disposerons de chiffres pour anticiper les dérives », confie-t-elle, fière de sa tablette flambant neuve.
D’autres la rejoindront bientôt puisque le ministère prévoit deux vagues supplémentaires dès 2024. À terme, l’ensemble des directions de projets devront inclure un professionnel certifié chargé d’accompagner la mise en œuvre de la culture du résultat.
Un levier pour la jeunesse et le développement
À Brazzaville, nombre de jeunes diplômés s’intéressent déjà à ces métiers de l’évaluation, encore peu connus. Les universités envisagent d’intégrer des modules dédiés dans leurs masters de gestion publique, afin d’élargir le vivier de compétences nationales.
Les analystes estiment que l’amélioration du suivi des programmes sociaux pourrait accélérer la réalisation des Objectifs de développement durable dans le pays. Des résultats précis permettraient de mieux cibler les subventions et de réduire les inégalités territoriales.
Pour l’heure, les trente agents fraîchement certifiés retournent à leurs bureaux avec l’ambition de « transformer les chiffres en décisions », selon l’expression de Roger Ongouaomo-Moké. Un premier pas vers une administration plus transparente, capable d’accompagner la diversification économique du Congo.
À terme, le ministère vise un portail public où citoyens, journalistes et chercheurs pourront suivre l’avancement des chantiers prioritaires en temps réel. Cette ouverture devrait renforcer la confiance et encourager une participation accrue de la société civile.
Les observateurs rappellent néanmoins que la réussite dépendra aussi de la stabilité des connexions internet et de la disponibilité de ressources financières pérennes. Sur ces deux points, le gouvernement assure travailler avec les opérateurs et les bailleurs pour garantir un soutien continu.