Un artiste brazzavillois à Paris
Depuis quelques mois, le chanteur brazzavillois Cedro La Loi vit à Paris, quartier de la Goutte-d’Or, un épicentre musical où se croisent rumba congolaise, afro-trap et électro. L’auteur de «Wilky» y forge une nouvelle étape artistique, loin du tumulte des nuits de Poto-Poto.
Installé sous le label I.B.N Music France, il prépare son retour en lançant le single «Nzéla ya ebendé», première pierre d’un projet plus vaste annoncé pour 2025. Entre souvenirs ferroviaires et ambitions internationales, le morceau trace une voie audacieuse.
Le CFCO chanté comme mémoire vivante
«Nzéla ya ebendé» signifie littéralement «chemin de fer». Le titre revisite le Congo-Océan, cet axe construit entre 1921 et 1934 au prix de milliers de vies. Cedro rappelle, sans moralisme, la souffrance ouvrière et l’espoir de mobilité qu’incarne toujours le train.
Dans la chanson, chaque gare renaît sous forme d’onomatopées gourmandes : kwanga, mbala, mankondi. L’artiste confie avoir voulu «faire goûter le rail», stimuler la mémoire collective par les sens et rassembler Nord et Sud autour d’un patrimoine partagé.
Les paroles, écrites en lingala épicé de kongo, alternent tendresse et revendication. Sans se livrer à la polémique, Cedro souhaite voir la ligne prolongée vers Ouesso, afin d’ouvrir de nouveaux débouchés agricoles et touristiques, fidèle au souci d’intégration nationale.
Fusion sonore entre folk kongo et coupé-décalé
Musicalement, le morceau associe percussions de nzango, guitares sèches rappelant les veillées kongo et boucles électroniques proches du coupé-décalé ivoirien. Le tout est mixé par Murphy Synthé et Déo Synthé, duo qui a déjà collaboré avec Innoss’B et Charlotte Dipanda.
Cedro, souvent cantonné à la rumba urbaine, surprend ici par un tempo à 120 battements-minute conçu pour les dancefloors européens. «Je voulais que Brazzaville puisse danser avec Paris la même nuit», explique-t-il, sourire aux lèvres, lors d’un entretien informel.
Le refrain, simple et entêtant, est déjà repris par des influenceurs congolais à Abidjan, Montréal et Pointe-Noire. Selon les premiers chiffres de la plateforme Boomplay, l’extrait de trente secondes cumule plus de 150 000 écoutes en dix jours, signe d’une attente réelle.
Un plan marketing calé sur le numérique
À Paris, Cedro s’appuie sur une équipe de community managers, majoritairement issus de la diaspora congolaise, pour orchestrer un challenge TikTok autour d’un pas de danse inspiré du balancement des wagons. La chorégraphie, filmée devant la gare Saint-Lazare, fait le tour des stories.
Le label prévoit une sortie officielle en septembre 2025, avec simultanément un clip tourné entre Dolisie, Pointe-Noire et la Petite Ceinture parisienne. Ce choix binationale doit illustrer le va-et-vient des diasporas et souligner l’ambition transcontinentale du projet.
Outre les plateformes classiques, une édition limitée en vinyle sera pressée à 500 exemplaires pour le Disquaire Day 2026. Collectors assurés, ces galettes translucides reprendront la carte stylisée du CFCO, clin d’œil aux férus de patrimoine industriel.
Que signifie ce retour pour la scène congolaise
Pour le sociologue des arts Dieudonné Ikama, le parcours de Cedro montre «la capacité d’un créateur local à s’inscrire dans le flux global sans renoncer à sa matrice culturelle». Il y voit un exemple à suivre pour une génération habituée au streaming dès l’adolescence.
Les promoteurs de soirées brazzavilloises espèrent déjà le programmer lors des prochaines vacances de décembre, période de pic pour les concerts live. «Un storytelling ferroviaire, c’est original et fédérateur», souligne Emmanuel Batchy, gérant du bar-concert Le Terminus, près du marché Total.
Sur le plan économique, l’émergence d’un artiste détenteur de droits éditoriaux bien négociés rappelle l’importance de la professionnalisation. Le Bureau congolais des droits d’auteur encourage cette transition en simplifiant l’enregistrement des œuvres et en initiant des ateliers de formation numérique.
Dans un marché dominé par la rumba, l’incursion de ce folk-electro pourrait élargir la palette radiophonique nationale. Radio Mucodec teste déjà le titre sur sa tranche matinale, aux côtés des nouveautés de Fally Ipupa et Gaz Mawete, preuve d’une curiosité croissante.
Un impact culturel au-delà du morceau
Si la production atteint le succès commercial espéré, Cedro envisage une tournée baptisée Rail-Tour, reliant des gares emblématiques du CFCO à des salles parisiennes. Une ambition qui, selon ses proches, nécessitera des partenariats logistiques mais offrirait une visibilité inédite au réseau ferroviaire congolais.
En attendant, l’artiste continue d’enregistrer chaque session studio sur un vlog publié le vendredi soir. Ces coulisses transparentes créent un lien intime avec les fans, qui commentent en direct, proposant même des percussions additionnelles ou des idées de lignes de basse.
«Nzéla ya ebendé» n’est donc pas seulement une chanson, mais un projet convergent où mémoire, danse et entrepreneuriat se conjuguent. Pour les jeunes Brazzavillois connectés, il offre l’image d’un artiste capable de transformer un symbole national en expérience globale.
Au-delà de la musique, le projet ouvre des discussions sur la réhabilitation effective du CFCO, priorité affichée par les autorités de Brazzaville. Plusieurs jeunes internautes, sous le hashtag #TrainDuFutur, suggèrent que l’élan culturel pourrait encourager investisseurs et décideurs à accélérer les travaux.