Un groupe camerounais aux ambitions régionales
Le paysage agro-industriel d’Afrique centrale vient de franchir une étape majeure avec l’officialisation, le 6 août 2025, du rachat des moulins du français Somdia par Cadyst Group, conglomérat camerounais dirigé par l’entrepreneur Célestin Tawamba, déjà présent dans la transformation céréalière et la logistique régionale depuis plusieurs années solide.
En intégrant la Société Le Grand Moulin du Cameroun et la Société Le Grand Moulin du Phare, l’entreprise accroît son réseau à sept sites industriels, une masse critique qui, selon ses dirigeants, devrait favoriser économies d’échelle, partage de savoir-faire et capacité d’investissement sur deux marchés voisins et complémentaires.
Cette stratégie répond aux attentes exprimées depuis plusieurs années par les autorités de la Communauté économique et monétaire de l’Afrique centrale, qui appellent à un tissu industriel plus robuste pour réduire les importations alimentaires, stabiliser les prix de la farine et dynamiser l’emploi des jeunes diplômés au quotidien.
Une opération validée par la Cemac
Le transfert d’actionnariat était conditionné à l’accord préalable de la Commission de la concurrence de la Cemac, soucieuse de préserver un climat concurrentiel équilibré dans la filière blé-farine. Après examen, l’instance a donné son feu vert, saluant la solidité financière du consortium bancaire mobilisé pour boucler l’opération sereinement.
Selon une source interne au régulateur, la prise de contrôle était aussi soumise à des engagements précis sur le maintien des effectifs et la poursuite des programmes de modernisation des silos de Douala et de Pointe-Noire, afin de garantir un niveau de service identique aux meuniers indépendants locaux.
Côté financement, le dossier a été piloté par Afriland First Bank et complété par la BGFIBank Congo, démontrant la capacité croissante des institutions régionales à accompagner des tickets supérieurs à cinquante milliards de francs CFA, autrefois réservés aux fonds européens installés à Paris ou Londres pour ces opérations.
Impact attendu sur la souveraineté alimentaire
Avec près de quarante pour cent de parts de marché au Cameroun et une entrée remarquée au Congo, Cadyst ambitionne de sécuriser l’approvisionnement en farine panifiable, dont la volatilité des cours internationaux a pesé sur les budgets publics via les mécanismes de compensation des boulangers et pâtissiers urbains.
Les autorités congolaises voient dans cette implantation le moyen de diversifier un tissu agroalimentaire encore concentré sur la minoterie publique MPM. Un cadre du ministère du Commerce estime que la concurrence « encouragera l’innovation technologique et des prix plus compétitifs sans menacer la production locale de manioc, aliment de base ».
L’acquisition pourrait aussi soutenir le Plan national de développement du Congo, qui table sur une réduction de 20 % des importations céréalières d’ici 2030. Cadyst affirme pouvoir recycler ses sous-produits pour l’aviculture, réduisant la dépendance aux tourteaux de soja issus d’Amérique latine pour l’alimentation animale et la pisciculture.
Des opportunités pour l’industrie congolaise
À Pointe-Noire, le Grand Moulin du Phare bénéficie d’un quai dédié qui simplifie la logistique blé et réduit le coût du fret maritime. Ce positionnement ouvre la possibilité d’exporter vers Kinshasa ou Luanda, marchés urbains voisins, lorsque la consommation locale atteint son plafond en période post-récolte céréalière annuelle.
Les meuniers artisanaux, nombreux dans les quartiers périphériques de Brazzaville, anticipent des synergies. « Une farine plus stable signifie un pain plus régulier, donc une clientèle fidèle », explique Rachelle Mayembo, gérante d’une boulangerie à Makabandilou, rappelant que la baisse récente du sac de 50 kilos a dynamisé sa marge.
Pour les syndicats, la priorité reste cependant la formation. Cadyst prévoit d’ouvrir, en partenariat avec l’École supérieure de technologie de Pointe-Noire, un programme dual visant à familiariser les techniciens aux process de moulins numériques. Les premiers apprentis pourraient intégrer l’usine réhabilitée dès le second semestre 2026 à venir.
Perspectives dans la Zlecaf
La Zone de libre-échange continentale africaine, en phase d’opérationnalisation, offre à Cadyst l’opportunité d’approvisionner Abuja ou Libreville sans droits de douane, à condition de satisfaire au critère d’origine. Le groupe étudie déjà la possibilité d’un troisième terminal céréalier à Kribi pour fluidifier l’export vers l’Afrique de l’Ouest prochainement.
Dans une note adressée à ses actionnaires, le président Tawamba voit la Zlecaf comme « un escalier pour gravir un marché de 1,3 milliard de bouches ». Les analystes d’Ecobank soulignent néanmoins la nécessité d’investir dans la logistique terrestre et la conservation du grain sous climat équatorial humide.
Dans les couloirs du ministère congolais de l’Économie, on espère que l’arrivée d’un acteur régional favorisera le développement d’un hub de négoces agroalimentaires à Oyo, sur l’axe RN2. Les banques locales y voient la possibilité de financer des chaînes de valeur entières, du champ jusqu’au consommateur local final.
À l’horizon 2030, Cadyst vise une capacité combinée de 1,2 million de tonnes de céréales transformées. Ce cap, jugé réaliste par le cabinet HCCA, apporterait 2 000 emplois supplémentaires directs et consoliderait la résilience alimentaire d’une sous-région dont la population croît de 3 % par an selon les dernières projections.