Une condamnation unanime, des motivations plurales
En rendant public un communiqué commun le 24 juin 2025, les capitales des BRICS ont soigneusement accordé leurs violons pour dénoncer « une violation manifeste de la Charte des Nations unies » après les frappes visant des infrastructures militaires iraniennes. La sortie, d’apparence solidaire, masque cependant une alchimie bien plus complexe. Pékin, qui s’était porté médiateur entre Riyad et Téhéran en 2023, voit dans la séquence actuelle le risque d’un embrasement susceptible de perturber ses couloirs énergétiques. New Delhi, malgré son rapprochement sécuritaire avec Washington, ne peut se permettre de heurter son opinion publique traditionnellement rétive aux interventions armées. Brasilia, nouvelle présidence tournante du groupe élargi, revendique une diplomatie « pacificatrice » destinée à crédibiliser son prétendu retour sur la scène mondiale.
La Charte de l’ONU brandie comme étendard normatif
Le recours formel à l’article 2, paragraphe 4, de la Charte confirme la volonté des BRICS de camper sur le terrain du droit international classique, celui qui prohibe le recours à la force hors légitime défense ou mandat du Conseil de sécurité. « Il en va de la survie du multilatéralisme », a martelé l’ambassadeur sud-africain auprès de l’ONU, soulignant la crainte partagée qu’une normalisation des frappes préventives n’affaiblisse les principes sur lesquels reposent les États moyens. Pour les membres du groupe, la défense de la légalité onusienne sert d’autant plus de bouclier que plusieurs d’entre eux restent sous le feu des critiques occidentales pour leurs propres actions militaires récentes.
Un bloc en quête de cohésion interne
La tonalité sévère du texte ne doit pas masquer les dissonances. Moscou, engagé depuis trois ans dans une guerre d’attrition en Ukraine, trouve opportun de dénoncer à son tour les « opérations unilatérales » afin de relativiser ses propres mises en cause. L’Inde a insisté pour que la formulation condamne l’escalade sans citer explicitement Israël, soucieuse de ménager la coopération sécuritaire indo-israélienne. L’Arabie saoudite, récemment admise dans l’élargissement du groupe, a soutenu le passage sur la « stabilité régionale », y voyant une manière d’appeler Téhéran à la retenue sans cautionner pour autant son programme balistique. Ces nuances montrent que le consensus BRICS relève moins d’une communauté de valeurs que d’une addition de calculs stratégiques.
Téhéran, bénéficiaire diplomatique malgré l’épreuve
S’il déplore officiellement des pertes humaines et matérielles, le gouvernement iranien tire profit de cette vague de solidarité pour rompre l’isolement que les sanctions occidentales entretiennent. Au lendemain du communiqué, le ministre iranien des Affaires étrangères s’est entretenu par visioconférence avec ses homologues russe et chinois afin d’accélérer la ratification d’accords énergétiques déjà négociés en 2024. « Chaque bombe qui tombe renforce notre détermination à diversifier nos partenariats », déclare un diplomate iranien, assurant que les échanges pétro-yuan devraient « croître de 30 % d’ici la fin de l’année ». La posture de victime de l’ordre international apparaîtrait ainsi comme une carte supplémentaire dans la main de la République islamique.
Washington et Tel-Aviv face à une coalition narrative
Dans les chancelleries occidentales, l’initiative des BRICS est reçue avec un mélange de scepticisme et d’inquiétude. Un conseiller du Département d’État concède que « l’unité du bloc complique la capacité de Washington à isoler l’Iran ». Israël, cible désignée de la condamnation implicite, déplore un « deux poids, deux mesures » et rappelle le droit à la légitime défense face aux proxies iraniens. La bataille de communication se joue désormais à New York, où les diplomates israéliens cherchent à empêcher l’adoption d’une résolution que le Brésil envisage de soumettre à l’Assemblée générale afin de conforter la dénonciation du recours à la force.
Vers un nouveau test pour l’architecture multilatérale
Au-delà de l’épisode, l’affaire pose une question plus large : l’ordre multilatéral peut-il survivre à la prolifération d’« alliances de circonstance » capables de bloquer ou contourner le Conseil de sécurité ? Plusieurs analystes rappellent que la Charte confère seule au Conseil la responsabilité première du maintien de la paix, mais celui-ci demeure paralysé par le veto. « Les BRICS entendent occuper le vide de légitimité laissé par l’impasse du Conseil », observe l’ex-haut fonctionnaire onusien Karim El-Sayad, pour qui « la bataille se jouera sur la capacité des puissances moyennes à imposer des normes alternatives ». Le communiqué du 24 juin n’est donc pas qu’un exercice oratoire ; il annonce une lutte d’influence normative dont la prochaine station pourrait être la présidence russe du G20.
Un équilibre fragile entre indignation et realpolitik
En définitive, la manifestation d’unité des BRICS traduit davantage la volonté de ses membres d’exister comme pôle de pouvoir que l’avènement d’une doctrine de sécurité réellement partagée. L’Iran peut se targuer d’avoir obtenu un soutien public, mais aucun des signataires n’est prêt à risquer une confrontation militaire directe pour sa défense. À Washington comme à Pékin, la priorité reste de contenir l’escalade, non de l’internationaliser. Dans cet entre-deux, la maxime diplomatique demeure inchangée : condamner haut et fort, négocier en coulisses, et laisser, pour l’heure, le ciel du Golfe compter les éclairs.