Un dernier adieu national à Brazzaville
Le Palais des congrès s’est paré de drapeaux et de brassards noirs le 1er octobre pour accueillir la dépouille de Jean Rigobert Bikindou. À l’intérieur, l’harmonie de la police jouait la marche funèbre tandis que les proches et les officiels prenaient place, dans un silence recueilli.
Durant plus de deux heures, délégations ministérielles, cadres politiques et habitants de la capitale ont défilé devant le cercueil recouvert du tricolore national. Les honneurs militaires ont rythmé la cérémonie, marquant la reconnaissance de la République envers un ancien serviteur de l’État.
Présence présidentielle remarquée
Le chef de l’État, Denis Sassou Nguesso, a traversé l’allée centrale sous un discret crépitement d’appareils photo. Il a déposé une gerbe de roses blanches au pied du catafalque avant de se recueillir longuement, tête inclinée, saluant la mémoire de celui qui fut membre de son gouvernement.
Dans un bref échange avec la famille, le président a rappelé « la contribution essentielle de M. Bikindou à la modernisation du cadre de vie urbain ». Ce geste symbolique a confirmé l’importance accordée par les plus hautes autorités à cette figure du génie civil congolais.
Parcours d’un bâtisseur congolais
Né en 1936 dans le Pool, Jean Rigobert Bikindou suit des études d’ingénierie avant d’intégrer, en 1977, la direction du génie civil des Travaux publics et Ports. Sa rigueur et sa passion pour le chantier lui valent rapidement la confiance des décideurs nationaux.
Dès ses premières fonctions, il impulse une méthode fondée sur la planification précise et la maîtrise des coûts, participant à la réhabilitation de certains axes routiers structurants et au renforcement des infrastructures portuaires, essentiels au désenclavement économique.
Responsabilités ministérielles et vision touristique
À la fin des années 1980, il rejoint le gouvernement comme ministre de l’Urbanisme et de l’Habitat, chargé du Tourisme. À ce poste, il encourage la construction de logements sociaux, lance des lotissements pilotes et promeut la valorisation des berges du fleuve Congo.
Son passage est aussi marqué par l’idée d’un tourisme écologique autour des forêts galeries, projet encore cité dans les écoles d’aménagement. Tout en demeurant discret, il savait fédérer architectes, financiers et collectivités autour d’objectifs concrets.
Carrière internationale à la CEA
Au sein de la Commission économique des Nations unies pour l’Afrique, il dirige le centre opérationnel de programmation et d’exécution des projets pour l’Afrique centrale. Basé tour à tour à Addis-Abeba et Yaoundé, il coordonne des financements destinés aux corridors routiers sous-régionaux.
Cette expérience renforce sa conviction que l’intégration économique passe par des infrastructures robustes. De retour au pays, il mettra ce réseau relationnel au service de la mobilisation de partenaires techniques pour plusieurs projets urbains.
Hommages officiels et familiaux
Chargé de l’oraison funèbre, le ministre du Contrôle d’État Gilbert Mokoki a souligné « une vie guidée par une haute idée du service public ». Il a salué la modestie du défunt, « conscient de ses limites mais toujours disponible pour partager son expertise ».
Au premier rang, les petits-enfants tenaient une photo encadrée. Leur mère, voix brisée, a évoqué « un patriarche attentif, exigeant et juste ». Les applaudissements ont rompu l’émotion, traduisant une affection familiale rarement visible dans les grands protocoles.
Valeurs et héritage urbanistique
Spécialistes de la ville rappellent que Jean Rigobert Bikindou défendait le triptyque accessibilité, durabilité, esthétique. Plusieurs centres de santé, marchés couverts et écoles primaires bâtis pendant son mandat portent encore sa signature technique.
Son approche, basée sur l’utilisation de matériaux locaux et le recours à la main-d’œuvre nationale, fait aujourd’hui référence dans les modules de formation de l’École africaine des métiers de l’architecture et de l’urbanisme.
Réactions de la société civile
L’Ordre des ingénieurs civils a publié un message qualifiant l’ancien ministre d’« exemple de probité ». Sur les réseaux, des étudiants louent « la trajectoire inspirante d’un fils de village devenu décideur international ». Des commerçants de Makélékélé soulignent la réhabilitation de leur marché sous son impulsion.
Cette unanimité s’explique par la posture d’homme de consensus qu’il endossait, préférant le résultat aux effets d’annonce. Selon plusieurs urbanistes indépendants, ses plans-directeurs, même retravaillés, demeurent la colonne vertébrale des extensions actuelles de Brazzaville.
Repos à Madibou, terre de symboles
En fin d’après-midi, le cortège a rejoint Madibou, 8e arrondissement, pour l’inhumation. Sur le chemin, de petits groupes agitaient des branches de palmier, rite traditionnel de bénédiction. La ferveur populaire contrastait avec la retenue du matin.
Le cerveau de nombreux projets urbains repose désormais dans un quartier qu’il voulait voir prospérer. Sa tombe, simple dalle de granit, jouxte une parcelle plantée d’acajous juvéniles, clin d’œil à cet ingénieur qui, toute sa vie, fit lever des bâtisses et des rêves.