Une disparition brutale qui bouleverse la capitale
La nouvelle du décès subit de Maître Larsen Bemy, survenu dans la nuit de lundi à Brazzaville, a traversé les réseaux sociaux avant l’aube, coupant le souffle des étudiants en droit et des praticiens déjà debout pour préparer l’audience matinale.
En quelques heures, un silence inhabituel a gagné les couloirs du Palais de justice, aussitôt remplacé par des murmures mêlés d’incrédulité et de tristesse, tandis que ses plus proches camarades cherchaient à comprendre les circonstances d’une disparition jugée « inimaginable » par plusieurs magistrats.
De l’amphi au barreau: un parcours exemplaire
Diplômé de la faculté de droit de l’Université Marien-Ngouabi, puis major de la promotion 2008 de l’ENAM, Bemy incarnait, selon son professeur Guy-Michel Mabouda, « l’exemple rare d’une discipline tranquille qui inspire naturellement le respect ».
Ses anciens condisciples se rappellent les réveils nocturnes pour occuper une place libre à l’amphithéâtre A, et les trajets partagés, lampe torche à la main, le long de l’avenue de l’Université, témoignant d’une volonté collective de réussir malgré un contexte exigeant.
Des voix concordantes saluent un esprit d’équipe
Maître Vianney Louetsi, rencontré mercredi, confie avoir vu « un frère plus qu’un collègue » dans celui qui l’encourageait à postuler aux bourses régionales, rappelant que « la compétition n’annule pas la solidarité, elle la révèle ».
Pour le bâtonnier de Brazzaville, Me Irène Boukadia, la disparition de ce jeune avocat-stagiaire « interroge sur la pression opérée sur les jeunes robes noires, partagées entre la quête d’excellence et des enjeux socio-économiques parfois lourds ».
Jeunes juristes: un héritage de rigueur
Sur les campus, l’annonce a déclenché des cercles spontanés de réflexion, certains étudiants évoquant la création d’un prix Larsen-Bemy pour distinguer chaque année la meilleure plaidoirie académique et entretenir, au-delà du deuil, la flamme d’un professionnalisme précoce.
L’Association congolaise des juristes en herbe prépare, de son côté, une conférence sur le mentorat, espérant transformer la tristesse en dynamique constructive pour la future génération d’avocats, magistrats et notaires du pays.
La santé mentale, un enjeu silencieux
La question de la santé mentale est revenue au premier plan, plusieurs confrères rappelant que l’épuisement professionnel dans le secteur juridique reste peu documenté en Afrique centrale, malgré des rythmes de travail comparables à ceux observés dans les grandes métropoles occidentales.
Le psychologue Paul-Aimé Ndinga souligne « l’importance d’un accompagnement psychologique adapté » pour ces étudiants confrontés à la compétition académique, aux stages intensifs et, souvent, aux attentes familiales de réussite, facteurs qui peuvent favoriser des détresses silencieuses.
Institutions et famille, l’union dans le recueillement
À l’Assemblée nationale, la minute de silence observée jeudi a été saluée par les organisations de la société civile comme un geste de reconnaissance envers une jeunesse diplômée qui s’engage avec loyauté dans la construction de l’État de droit.
La famille Bemy reçoit depuis trois jours des délégations officielles, dont celle du ministère de la Justice, venue exprimer sa « confiance intacte dans le potentiel des jeunes juristes » et annoncer un accompagnement pour les obsèques prévues au cimetière public d’Itoy.
Le gouvernement a également relayé, via la télévision nationale, un message saluant « l’engagement patriotique et la persévérance académique » du défunt, tout en encourageant les facultés à renforcer les programmes de tutorat destinés aux étudiants issus de milieux modestes.
Pour beaucoup, ce soutien officiel traduit une volonté de préserver la cohésion sociale autour de figures méritantes, sans occulter les défis structurels que rencontrent les universités, notamment le déficit d’amphithéâtres et la digitalisation encore incomplète des bibliothèques.
Un symbole d’espoir pour le Congo de demain
Au-delà des hommages, la disparition de Bemy rappelle qu’un pays se construit aussi à travers les trajectoires individuelles, parfois interrompues, qui nourrissent l’imaginaire collectif et stimulent la recherche d’excellence dans chaque corporation.
« Nous devons transformer ce drame en énergie positive », a déclaré la rectrice de l’Université Marien-Ngouabi, estimant que l’esprit d’entraide affiché ces derniers jours pourrait servir de modèle pour d’autres facultés, qu’il s’agisse de médecine ou d’ingénierie.
Le nom de Larsen Bemy s’inscrit désormais dans la mémoire de la cité capitale, moins comme celui d’un destin brisé que comme l’étendard d’une ambition collective portée par la jeunesse congolaise, animée par le désir de concilier réussite personnelle et service public.
Vers une mémoire pérenne: projets en cours
Un collectif d’alumni de l’ENAM élabore actuellement une bourse d’excellence baptisée « Fondation Bemy », destinée à financer chaque année la scolarité de deux étudiants issus des zones rurales, avec l’appui de partenaires privés et d’une contribution participative ouverte en ligne.
De son côté, la municipalité étudie la possibilité de donner le nom du défunt à une salle de conférence au sein de la future Cité judiciaire, projet phare du Plan national de développement qui vise à moderniser l’appareil juridictionnel sans rompre avec la mémoire des pionniers.
Si ces initiatives aboutissent, elles inscriront durablement le parcours de Larsen Bemy dans le patrimoine symbolique de Brazzaville, offrant aux générations futures un exemple tangible de dépassement de soi, dans un contexte national où les carrières d’excellence participent à la vitalité démocratique.