Brazzaville face à l’urgence obstétricale
Dans la salle de conférence de la direction départementale de la population, une vingtaine de blouses blanches se sont retrouvées le 3 octobre. Toutes partagent le même objectif: faire reculer les décès qui surviennent encore trop souvent dans les salles d’accouchement de la capitale congolaise.
Selon le Dr Wilfrid Gautier Okanda, chef de service, 27 % des décès enregistrés dans les maternités brazzavilloises concernent les mères. L’adolescence pèse lourd : une grossesse sur cinq responsable d’un décès maternel concerne une jeune fille, preuve d’un risque majoré de complications.
La rencontre, placée sous l’autorité du secrétariat général de la préfecture, a officialisé le lancement du réseau des majors sages-femmes des 17 structures obstétricales ciblées. Objectif : harmoniser pratiques, partager les alertes en temps réel et orienter plus vite les cas critiques.
Le réseau des majors sages-femmes se structure
Autour de la table, les responsables des blocs d’accouchement de Talangaï, Poto-Poto ou encore Mfilou ont listé leurs obstacles quotidiens : ruptures de consommables, retards d’ambulance, mais surtout manque de coordination entre les districts sanitaires lorsqu’une patiente doit être référée.
Octave Elenga, chef du centre “Maman Mboualé”, regrette que « le téléphone professionnel demeure trop souvent éteint au moment crucial ». Une absence de réaction qui, selon lui, « fait perdre de précieuses minutes alors que la vie d’une parturiente se joue ».
Face à ces constats, les participantes ont validé une charte interne. Elle prévoit un astreinte téléphonique 24h/24, la tenue d’un tableau de bord partagé et une réunion technique chaque mois. « La qualité de la réponse dépend d’abord de nous », souligne Mme Judith Epana, sage-femme.
Téléphones de liaison, un outil vital
Le même jour, le réseau a reçu une dotation de téléphones de liaison financée par le Fonds des Nations unies pour la population. Simple mais déterminant : ces appareils double-carte permettent d’appeler gratuitement à l’intérieur du groupe et de transmettre photos ou partogrammes.
Pour le Dr Okanda, « chaque minute gagnée est potentiellement une vie sauvée ». Il table sur une réduction d’au moins 10 % des complications mortelles dès la première année de la phase pilote si la discipline de communication est respectée par tous.
Le dispositif, combiné à la télémédecine embryonnaire mise en place au CHU de Brazzaville, élargira bientôt les possibilités de consultation à distance. Les sages-femmes pourront demander en direct l’avis d’un obstétricien de garde avant de transférer une patiente vers un plateau plus lourd.
Violences en maternité : prévenir pour protéger
La mortalité maternelle cache parfois des contextes de violence. En 2024, 294 cas de violences sexuelles ont été enregistrés à Brazzaville, dont 96 chez des hommes, a rappelé le directeur départemental. Les salles d’accouchement ne sont pas épargnées par ces agressions multiformes.
Au-delà des violences physiques, les intervenants ont évoqué le poids des paroles humiliantes adressées aux parturientes. « Un mot peut rassurer ou détruire », a insisté Dr Okanda, invitant les personnels à adopter un langage bienveillant, vecteur de confiance pendant un moment déjà anxiogène.
Le réseau s’est donc doté d’une grille de signalement. Toute violence, verbale ou physique, devra être notifiée dans les six heures aux référents psychologues et aux autorités judiciaires. Une cellule d’écoute, ouverte dans trois centres pilotes, propose déjà un accompagnement gratuit aux survivantes.
M. Thevy Duvel Mongouo Wando, représentant le préfet de Brazzaville, a salué « l’engagement exemplaire des sages-femmes » et promis de relayer leurs recommandations. Il a indiqué qu’un rapport synthétique sera remis chaque trimestre afin d’ajuster le dispositif aux réalités de terrain.
Appuis institutionnels et prochaines étapes
Financé par le projet Groupe des femmes unies, l’essai pilote concerne 17 formations sanitaires, soit plus de la moitié du parc obstétrical public de la capitale. Le ministère de la Santé suit le dossier de près et envisage d’étendre la méthode aux autres départements.
Une enveloppe complémentaire, en discussion avec la Banque mondiale, pourrait sécuriser l’achat de kits d’accouchement stériles et la formation continue de 200 sages-femmes supplémentaires. « Le gouvernement place la santé maternelle au rang des priorités nationales », rappelle un cadre de la Direction générale de la santé.
Prochaine étape : interconnecter les bases de données des maternités au système DHIS2 national. Cette compatibilité technique facilitera le suivi des indicateurs, de la part des grossesses adolescentes aux causes précises de décès, et guidera la décision publique sur des chiffres consolidés.
Les premiers résultats de la phase pilote sont attendus pour le deuxième semestre 2025. D’ici là, sages-femmes, autorités et partenaires entendent maintenir la dynamique. « Nous avons la responsabilité collective de donner la vie sans risquer la mort », conclut Dr Okanda, optimiste.
For many jeunes mères rencontrées dans les centres pilotes, la mesure est déjà palpable : « Je me sens mieux prise en charge, on me parle et on m’explique tout », témoigne Rosy, 19 ans, suivie à Makelekele, heureuse de voir son terme approcher sereinement.
Si les indicateurs confirment la tendance, le modèle brazzavillois pourrait inspirer un déploiement régional, voire une stratégie nationale unifiée.