Kintélé carrefour stratégique de la francophonie économique
Pendant trois jours, la commune nouvelle de Kintélé, voisine immédiate de Brazzaville, s’est métamorphosée en forum d’affaires polyglotte. Quelque mille participants, issus d’un quarantaine de pays, ont convergé vers le Centre international de conférence pour la cinquième édition de la Rencontre des entrepreneurs francophones. L’ouverture, présidée par Denis Sassou Nguesso, a donné le ton d’une diplomatie économique assumée : dans un environnement géopolitique où les blocs linguistiques cherchent leur avantage compétitif, la Francophonie entend capitaliser sur un marché potentiel de 1 300 milliards de dollars, selon les estimations de l’Organisation internationale de la Francophonie.
Une plateforme patronale aux ambitions transcontinentales
Créée il y a à peine trois ans, l’Alliance des patronats francophones fédère plus de quarante organisations professionnelles, de Montréal à Dakar et de Paris à Phnom Penh. Son président, Roberto Suárez Santos, a rappelé à Brazzaville que « la mobilité des chefs d’entreprise est la condition sine qua non d’une prospérité partagée ». Les travaux en ateliers ont ainsi exploré des solutions concrètes : simplification documentaire, reconnaissance mutuelle des normes et financements mixtes publics-privés. Dans les couloirs, les délégués commentaient déjà les protocoles d’accord signés entre énergéticiens canadiens et agro-industriels congolais, témoignant d’un foisonnement de projets que les diplomates suivent de près.
Des signaux encourageants pour le climat des affaires congolais
Le chef de l’État congolais n’a pas manqué de rappeler que son pays dispose de dix millions d’hectares arables inexploités, d’un régime fiscal révisé en 2023 pour alléger l’impôt sur les sociétés stratégiques, ainsi que d’un nouveau Code des investissements accueillant les partenariats public-privé. Les réformes sont saluées par Unicongo, dont le président Michel Djombo voit dans la stabilité politique un « atout différenciant dans la sous-région ». Pour les analystes, ces signaux crédibilisent la place de Pointe-Noire comme corridor naturel vers le marché d’Afrique centrale et renforcent le rôle de la Zone économique spéciale de Maloukou, inaugurée l’an dernier, dans la chaîne logistique régionale.
Mobilité des capitaux et des talents : la question des visas d’affaires
Louise Mushikiwabo, secrétaire générale de l’OIF, a insisté sur le levier que constitue la facilitation des visas d’affaires. Plusieurs intervenants ont évoqué la perspective d’un « e-visa francophone » qui supprimerait les files d’attente consulaires et fluidifierait les échanges intra-espace. Les fonctionnaires congolais chargés de l’immigration soulignent qu’un tel dispositif ferait écho à la plateforme numérique e-Congo, déjà opérationnelle pour les investisseurs stratégiques, réduisant de moitié les délais d’obtention d’autorisation d’implantation. Si le projet reste à l’étude, l’intention affichée rassure les dirigeants de PME souhaitant tester le marché avant de déployer des capitaux plus importants.
Agriculture, mines et énergies : les gisements d’une croissance partagée
Les tables rondes sectorielles ont mis en lumière trois filières jugées prioritaires. D’abord l’agro-industrie, où la pluviométrie abondante et la main-d’œuvre jeune offrent une compétitivité rare pour le manioc, le maïs et l’hévéaculture. Ensuite le secteur minier, avec des permis de recherche de cobalt et de niobium récemment attribués à des consortia canado-congolais. Enfin, les énergies renouvelables : la cuvette centrale détient un potentiel hydroélectrique estimé à 5 000 MW, auquel s’ajoutent de solides gisements solaires sur le plateau de la Bouenza. Aux yeux d’observateurs européens, cette diversification constitue un antidote crédible à la dépendance historique aux hydrocarbures.
Diplomatie économique et intégration régionale : un marché de 120 millions
En soulignant que le Congo dessert un bassin de 120 millions de consommateurs – ceux de la Communauté économique des États de l’Afrique centrale –, Denis Sassou Nguesso a rappelé le double intérêt de la place congolaise : accès fluvial via le fleuve Congo-Oubangui-Sangha et connectivité maritime depuis Pointe-Noire. Les diplomates présents estiment que cette articulation logistique renforce la capacité du pays à servir de hub pour les opérateurs désireux de pénétrer les marchés du Cameroun, de la RDC ou du Gabon. Le président congolais a également mis l’accent sur la Zone de libre-échange continentale africaine, dont l’opérationnalisation partielle ouvre de nouvelles perspectives pour les industriels recherchant des chaînes de valeur panafricaines.
Vers Phnom Penh 2026 : continuité d’un agenda pragmatique
Au terme des travaux, l’Alliance des patronats francophones a décerné au chef de l’État congolais un Prix d’excellence saluant sa « promotion constante de la Francophonie économique ». Si la gratification reste symbolique, elle entérine le rôle du Congo comme laboratoire d’initiatives. Déjà, les observateurs se tournent vers Phnom Penh, où l’édition 2026 devra consolider les engagements pris à Kintélé et préciser la feuille de route sur la mobilité. Entre-temps, Brazzaville capitalisera sur l’élan créé : l’annonce d’un guichet unique pour les investisseurs et la perspective d’une bourse régionale des matières premières témoignent d’un agenda pragmatique. Le pari est clair : transformer la rhétorique de la coopération francophone en projets tangibles et, à terme, en prospérité partagée.