Décision définitive de la Cour suprême
Fin décembre, la Cour suprême du Congo-Brazzaville a confirmé l’arrêt rendu un an plus tôt par la Cour d’appel, attribuant définitivement à la République de Bulgarie la parcelle 97, section 0, dans le quartier La Poste.
Cette décision met un terme à un long bras de fer opposant l’ambassade bulgare à Mme Gisèle Ngoma, laquelle affirmait détenir un titre d’acquisition régulier sur ce terrain de 982 mètres carrés, convoité pour sa situation stratégique.
L’arrêt, qualifié de « sentence insusceptible de recours » par le greffe, signifie que plus aucun dispositif juridique interne ne peut être mobilisé pour contester la propriété bulgare, sauf à engager une procédure internationale peu probable.
« La Cour a rappelé le principe d’intangibilité de la chose jugée », explique Me Lauriane Kimpolo, avocate au barreau de Brazzaville, soulignant que le jugement confirme l’acte notarié signé en 1971 entre l’État congolais et Sofia.
Chronologie d’un litige foncier international
Tout commence en septembre 1971, lorsqu’un acte de vente authentique transfert la parcelle à la Bulgarie pour y ériger des installations diplomatiques, à une époque marquée par une coopération Est-Ouest active sur le continent africain.
Durant quatre décennies, le terrain reste paisible, avant que ne surgisse, en 2013, la revendication de Mme Ngoma, héritière présumée d’un propriétaire antérieur, qui engage alors une bataille judiciaire dont l’écho résonne jusqu’aux chancelleries européennes.
En décembre 2024, le Tribunal de grande instance de Brazzaville ordonne l’expulsion de Mme Ngoma et fixe une astreinte de 500 000 FCFA par jour, assortie de cinq millions de dommages-intérêts, décision confirmée en appel.
La requérante saisit ensuite la Cour suprême, invoquant la protection de ses droits fondamentaux et alléguant un conflit de compétence entre juridictions civiles et diplomatiques. L’audience publique, très suivie, dure plus de quatre heures d’argumentations serrées.
Analyse juridique de la sentence
Pour les observateurs, la haute juridiction a validé le raisonnement selon lequel un acte notarié ancien, dûment enregistré, prime sur tout titre postérieur obtenu en marge du cadastre central, même en présence d’occupations matérielles prolongées.
« La procédure a respecté le contradictoire et le double degré de juridiction », insiste un magistrat proche du dossier. Selon lui, la décision illustre la capacité des tribunaux congolais à statuer sur des affaires impliquant des États étrangers.
Cette position est partagée par un diplomate européen en poste à Brazzaville, qui salue « la clarté et la sécurité juridique offertes aux représentations étrangères investies dans la capitale », un facteur jugé essentiel pour la stabilité des missions.
La défense de Mme Ngoma a centré sa plaidoirie sur l’idée d’une prescription acquisitive, arguant de l’occupation paisible du site. La Cour a retenu que la présence d’une ambassade, même temporairement vacante, interrompt toute prescription.
Enjeux diplomatiques pour Brazzaville
Le dossier dépasse le simple plan cadastral. Il engage l’image du Congo auprès d’États partenaires soucieux de voir leur patrimoine reconnu et protégé. Brazzaville héberge actuellement trente-six ambassades, dont plusieurs recherchent des terrains supplémentaires.
En confirmant la propriété bulgare, la justice congolaise réaffirme l’esprit des conventions de Vienne, protectrices des locaux diplomatiques, y compris durant les périodes de désaffection.
Le ministère congolais des Affaires étrangères juge que cette clarté accélère les pourparlers avec des partenaires, dont l’Égypte et la Corée du Sud, désireux d’ériger leurs chancelleries dans le futur quartier diplomatique.
De son côté, l’ambassade de Bulgarie a déclaré qu’elle « étudie désormais les meilleures options pour valoriser la parcelle, sans écarter une collaboration culturelle ou commerciale », signe d’un climat apaisé entre Sofia et Brazzaville.
Gouvernance foncière et perspectives locales
Pour les urbanistes, l’affaire met en lumière la nécessité d’un cadastre numérique à jour, capable d’éviter les chevauchements de titres. Brazzaville progresse sur le sujet grâce à un programme de modernisation appuyé par la Banque mondiale.
La sécurisation du foncier reste cruciale pour attirer investisseurs et institutions. « Un litige prolongé renchérit tout projet », rappelle l’économiste Félix Massengo, voyant dans ce jugement un signal positif pour le climat des affaires.
Sur le plan social, certains habitants du quartier La Poste redoutent toutefois une montée des loyers si la parcelle est valorisée commercialement. Les autorités municipales assurent qu’un dialogue sera ouvert afin de préserver l’équilibre urbain.
Quant à Mme Ngoma, ses conseils envisagent une requête auprès de la Cour africaine des droits de l’homme. Les juristes estiment néanmoins que la voie est étroite, la décision suprême congolaise étant solidement motivée.
En définitive, l’affaire confirme la primauté des actes authentiques et la solidité des institutions judiciaires congolaises, tout en rappelant la charge émotionnelle que peut revêtir la terre dans la capitale. Pour beaucoup, c’est une page qui se tourne.