Brazzaville accueille un forum décisif
Depuis lundi, la salle des conférences du ministère des Zones économiques spéciales vibre au rythme d’un forum dédié à la gouvernance de la filière ciment. Autour du ministre Antoine Thomas Nicéphore Fylla Saint Eudes, ingénieurs, financiers et chercheurs scrutent les ressorts d’un marché devenu hautement concurrentiel.
Le rendez-vous, qui s’étale sur deux jours, ambitionne d’accoucher d’une feuille de route réaliste, capable de transformer les quatre unités locales en un véritable hub sous-régional. « Nous voulons un secteur robuste, exportateur et créateur d’emplois durables », insiste le ministre, sourire discret.
Un secteur stratégique en mutation
Avec près de trois millions de tonnes de capacité nominale, le ciment congolais alimente déjà une large part des chantiers publics, du pont de la Tsiémé aux logements sociaux Kintélé. Mais la demande africaine grimpe si vite que l’offre locale risque d’être rapidement débordée.
Les études dévoilées par le Centre congolais du commerce extérieur anticipent un déficit régional supérieur à cinq millions de tonnes d’ici 2030. Cette fenêtre pourrait repositionner Brazzaville comme plate-forme d’approvisionnement vers le Cameroun, la Centrafrique ou le Gabon, à condition d’optimiser production et logistique.
L’électricité, qui pèse jusqu’à 30 % du coût de revient, reste le principal poste de dépense. Le forum planche sur une connexion directe aux barrages d’Imboulou et de Liouesso afin de sécuriser un kilowattheure abordable, gage de compétitivité face aux groupes nigérians.
Les défis de la compétitivité régionale
Sous les lambris, la conversation tourne vite vers le fret. Acheminer une tonne de ciment de Mindouli à Douala coûte encore deux fois plus cher que la transporter de Lagos. Le besoin d’une liaison ferroviaire réparée et d’un poste de contrôle unique refait donc surface.
Jean-Pierre Moubé, directeur d’un cabinet logistique, note que « le corridor Pointe-Noire-Brazzaville-Bangui dort sur un potentiel de 450 millions de dollars annuels ». D’autres intervenants évoquent la création d’un guichet douanier digitalisé pour réduire les vingt-huit signatures encore nécessaires par convoi.
Les producteurs, eux, rappellent que la montée des prix du clinker sur les marchés asiatiques complique les prévisions. Un coup d’accord sur la norme communautaire CEMAC, combiné à une utilisation accrue du pouzzolane de Loudima, pourrait toutefois alléger la facture d’importation.
Innovation et durabilité au cœur des discussions
Au-delà du chiffre d’affaires, la neutralité carbone s’impose comme thème transversal. L’Institut national de la recherche en génie civil présente un prototype de four alimenté par des granulés de biomasse issus des coupes forestières encadrées, promettant 20 % d’émissions en moins.
Le Laboratoire geek de l’université Marien-Ngouabi dévoile parallèlement un béton autocicatrisant, dopé aux bactéries locales, capable de refermer ses micropores dès l’apparition de fissures. Une telle avancée réduirait la consommation de ciment neuf sur les routes, tout en prolongeant leur durée de vie.
« L’écoperformance ne doit plus être perçue comme un luxe mais comme un investissement », défend Gisèle Diangha, consultante environnement. Selon elle, les bailleurs comme l’AFD ou la BAD privilégient déjà les projets alignés sur l’Accord de Paris, ce qui pourrait flécher de nouveaux financements.
Partenariats public-privé en gestation
Le forum sert aussi de bourse aux contacts. D’après une note interne consultée par notre rédaction, deux groupes asiatiques auraient manifesté un intérêt pour une unité intégrée à Oyo, tandis qu’un consortium gabonais verrait d’un bon œil une joint-venture de transport fluvial sur l’Oubangui.
Du côté de l’État, le Programme de développement des chaînes de valeur prévoit des incitations fiscales ciblées. Exonération douanière sur les pièces de rechange, crédit d’impôt formation, garantie partielle sur les emprunts verts : autant de mesures déjà testées dans le bois ou l’agro-industrie.
Pour l’économiste Armand Nkouka, l’enjeu sera de contractualiser clairement les responsabilités. « Le ciment nécessite du capital patient et une régulation stable. Le dialogue engagé aujourd’hui rassure les investisseurs, mais il faudra suivre l’exécution des engagements sur le long terme », précise-t-il.
Quel impact pour la jeunesse congolaise ?
Dans les couloirs, les étudiants en génie civil scrutent les stands à la recherche de stages. Le ministère de l’Emploi chiffre à 4 000 les postes directs supplémentaires possibles si la capacité de production est doublée. Plusieurs écoles techniques ont déjà proposé des cursus adaptés.
Le communiqué final est attendu en soirée, avec des indicateurs précis de suivi: volumes d’exportation, part d’énergie renouvelable, nombre d’emplois créés. En croisant ambition économique et rigueur environnementale, Brazzaville espère inscrire la pierre angulaire d’une croissance inclusive portée par son ciment.
Chronogramme et attentes post-forum
Selon le secrétariat technique, une plateforme numérique de suivi-évaluation sera mise en ligne dès septembre. Elle listera chaque recommandation assortie d’une échéance, à commencer par l’adoption du nouveau code minier annexe et la signature d’accords d’interconnexion électrique avec la RDC.
Les organisateurs prévoient un second atelier en février pour mesurer les premiers résultats. D’ici là, un observatoire citoyen, animé par le collectif des ingénieurs juniors, publiera des bulletins mensuels afin d’installer une culture de transparence, saluée par plusieurs organisations patronales présentes.