Un appel présidentiel à la vigilance
Le 15 août, à l’occasion du 65ᵉ anniversaire de l’indépendance, Denis Sassou Nguesso a choisi un format ramassé : dix minutes pour dresser l’état du pays et alerter sur « une paix dangereusement menacée par la récurrence des conflits armés ».
Depuis le Palais du Peuple, le chef de l’État a également rappelé que l’instabilité régionale complique l’effort national de relance, entravant la sortie de crise économique et pesant sur « le bien-être des populations », formule qui a retenu l’attention des Congolais.
Le propos s’inscrit dans une conjoncture internationale tendue par les crises ukrainienne et soudano-éthiopienne, dont Brazzaville suit les répercussions sur les matières premières. Des analystes locaux soulignent que les exportations pétrolières congolaises n’échappent pas aux variations de cours provoquées par ces foyers de tension.
Des voix critiques mais nuancées
La perspective géopolitique développée par le président a pourtant suscité, dans l’opposition, un scepticisme immédiat. Destin Gavet, candidat déclaré à la présidentielle de 2026, estime que la paix ne se réduit pas au silence des armes mais suppose la fin d’« une précarité indescriptible ».
Pour cet ancien banquier reconverti dans la politique, la situation sociale des quartiers périphériques de Brazzaville illustre une « urgence humaine » que le discours n’aurait pas suffisamment traitée. Gavet cite notamment la hausse des loyers et la faiblesse du pouvoir d’achat des jeunes diplômés.
Clément Miérassa, figure expérimentée du paysage politique, renchérit. Selon lui, la paix véritable inclut l’accès aux soins, à l’eau potable et à un revenu décent. « La souffrance actuelle ne peut permettre une harmonie durable », affirme-t-il, plaidant pour un pacte social élargi.
Ces sorties médiatiques, largement relayées sur les réseaux sociaux, cadrent avec la traditionnelle joute post-15 août. Toutefois, plusieurs observateurs estiment que les opposants n’ont pas rejeté en bloc le message présidentiel, reconnaissant la nécessité d’anticiper les menaces sécuritaires transfrontalières.
La majorité plaide la stabilité
Du côté de la majorité, la défense a été menée par Paul Ganongo, député du Parti congolais du travail. Selon lui, le chef de l’État rappelle une évidence : « Quand les armes parlent, la terre ne se cultive plus ». Il insiste sur la priorité accordée à la stabilité.
Ganongo note que le Congo, relativement préservé des conflits frontaliers, a pu maintenir ses projets d’infrastructures, comme la route nationale n°1 réhabilitée l’an dernier. Pour l’élu, ce type d’investissement serait impossible sans la politique de paix promue depuis deux décennies.
Le défi socio-économique en toile de fond
Au-delà des étincelles politiques, économistes et sociologues s’accordent à lire le 15 août comme un diagnostic partagé : la croissance reste trop dépendante du pétrole. La contraction de 2020 liée à la pandémie, puis la reprise partielle de 2022, montrent la vulnérabilité structurelle de l’économie nationale.
Jean-Marie Ibara, professeur à l’Université Marien-Ngouabi, rappelle que le budget 2024 table sur une diversification vers l’agro-industrie et le numérique. « L’enjeu est d’industrialiser la transformation du bois et du manioc pour créer des emplois locaux », souligne-t-il, notant la convergence entre gouvernement et secteur privé.
Le président a d’ailleurs évoqué « la vivification du panafricanisme », concept qui, selon les experts, pourrait se traduire par un accroissement des partenariats Sud-Sud. Le récent accord de télé-médecine signé avec le Rwanda est présenté comme une illustration concrète de cette orientation.
Les critiques rappellent l’expulsion, en mars, de l’activiste Kemi Seba, venu dénoncer le franc CFA. Ils y voient une dissonance avec l’appel à « rejeter les égoïsmes ». Les proches du gouvernement évoquent, eux, de simples impératifs administratifs.
Cap sur 2026, entre incertitudes et attentes
Au-delà de ces controverses, les Congolais interrogés sur l’avenue de la Paix se disent surtout préoccupés par la cherté de la vie. Mireille, vendeuse de légumes au marché Total, espère « une baisse des taxes sur le transport » pour réduire les coûts logistiques répercutés sur ses clients.
Les jeunes diplômés, nombreux à fréquenter les start-ups incubées au « BrazzaTech Hub », réclament de leur côté une simplification des démarches d’enregistrement d’entreprise. Ils saluent l’annonce présidentielle d’un guichet unique digitalisé, tout en attendant sa mise en œuvre avant la fin 2024.
Dans la sphère politique, un sujet reste sous-entendu : la candidature éventuelle de Denis Sassou Nguesso en 2026. Le chef de l’État n’a rien révélé. Pour Paul Ganongo, « la priorité actuelle est la consolidation des acquis ». L’opposition, elle, prépare déjà ses conventions internes.
Vers un calendrier électoral remanié
Le calendrier électoral prévoit la révision des listes dès janvier prochain. La Commission nationale électorale indépendante promet des inscriptions biométriques pour renforcer la transparence. Les partis convergent sur ce point, estimant qu’une base de données fiable limitera le contentieux poste-vote.
En filigrane, la diaspora congolaise suit les débats. Depuis Paris, l’économiste Grâce Ngoma juge que « le Congo dispose d’un potentiel agricole immense ». Elle encourage les autorités à renforcer les incitations au rapatriement des compétences, un volet mentionné dans le discours mais passé relativement inaperçu.
À l’orée de la rentrée parlementaire, chaque camp affine donc son récit : paix, stabilité et diversification pour la majorité ; justice sociale et gouvernance inclusive pour l’opposition. Entre ces lignes, la population attend des actions tangibles qui rendront le prochain 15 août moins polémique.