La dépigmentation en net recul à Brazzaville
Il est midi devant l’École des beaux-arts de Moukoundzi Ngouaka. Sac au dos, Alioty traverse la cour et observe les visages autour de lui. « Il y a dix ans, on voyait beaucoup de peaux éclaircies ici. Aujourd’hui, c’est devenu rare », confie ce quadragénaire au regard amusé.
Les statistiques officielles manquent, mais pharmaciens et coiffeurs évoquent une chute de leurs ventes de produits décapants. Les étals autrefois dominés par les fameuses crèmes promettant un “teint café au lait” exposent désormais des laits à base de karité ou de coco, jugés moins agressifs.
Pressions esthétiques héritées de la colonisation
Pour le sociologue Éric Aimé Kouizoulou, la dépigmentation plonge ses racines dans l’histoire coloniale. « On nous a enseigné que la peau claire symbolisait succès et modernité. Cette hiérarchie a façonné les imaginaires pendant des décennies », explique-t-il.
Le chercheur rappelle que, dès les années 1960, l’arrivée des premières stars de la diaspora arborant un teint éclairci a conforté ce modèle. Les avancées technologiques des cosmétiques ont alors rendu la pratique plus accessible, alimentant un marché informel souvent incontrôlé.
Des conséquences sanitaires désormais connues
Dermatologues et ONG sanitaires tirent la sonnette d’alarme depuis les années 2000. Les crèmes contenant hydroquinone ou corticoïdes peuvent provoquer dépigmentations irrégulières, vergetures, acné sévère, voire cancers cutanés. « Je vois chaque semaine des cas de brûlures photo-induites », témoigne le Dr Moukassa, dermatologue à l’hôpital de Makélékélé.
L’Organisation mondiale de la santé classe plusieurs agents dépigmentants comme « possiblement cancérigènes ». Cette reconnaissance a largement circulé sur les réseaux sociaux congolais, transformant la peur des complications en argument massue pour décourager les candidats au blanchiment.
Témoignages de ceux qui ont tourné la page
Didier Clotaire, fonctionnaire, garde en mémoire ses premières plaques brunes : « Le matin, ma peau pelait. J’ai arrêté dès que j’ai compris que je vieillirais prématurément ». Il suit désormais un traitement réparateur et anime des causeries santé dans son quartier de Talangaï.
Chimène, 25 ans, admet avoir testé des laits éclaircissants à l’adolescence. Aujourd’hui, elle conseille l’inverse à ses amies : « Quand tu as confiance en ton teint, tu rayonnes. Qui veut paraître bizarre plus tard ? » Sa posture influence un cercle grandissant d’étudiants branchés.
La tendance du retour au teint naturel
Bazin Mboungou, observateur de la culture urbaine, y voit « un retour à l’authenticité qui valorise la beauté noire dans toutes ses nuances ». Selon lui, les réseaux sociaux jouent un rôle clé : les influenceuses locales partagent astuces d’huiles végétales plutôt que recettes éclaircissantes.
La vogue du mouvement “Melanin Proud”, née aux États-Unis, a gagné Brazzaville. Hashtags, concours photos et défilés célèbrent désormais la peau ébène comme un atout. Les marques congolaises surfent sur cette fierté en lançant des gammes hydratantes sans agents blanchissants.
L’industrie cosmétique locale s’adapte
Les laboratoires installés à Pointe-Noire reformulent leurs produits pour répondre à cette nouvelle demande. Parfums doux, beurres végétaux et filtres solaires adaptés aux peaux foncées remplissent les rayons. « Nos ventes de beurre de karité ont bondi de 60 % en deux ans », assure un distributeur.
Cette évolution séduit la diaspora. De passage pour les fêtes, nombre de visiteurs repartent avec des coffrets “Made in Congo” à base de moringa ou d’huile de baobab. Les créatrices de PME cosmétiques espèrent ainsi ouvrir des débouchés à l’export, tout en encourageant la production locale.
Quel rôle pour les pouvoirs publics
Le ministère de la Santé supervise depuis 2017 une campagne “Zero Risque Peau”. Affiches dans les lycées, spots radio et brigades de contrôle traquent les crèmes non homologuées. « Nous avons saisi plus de deux tonnes de produits illicites en 2023 », indique un responsable de la pharmacie nationale.
Les autorités misent également sur la prévention. Des sessions gratuites de dépistage dermatologique sont organisées chaque trimestre à Brazzaville et Dolisie. Les utilisateurs reçoivent conseils et brochures rappelant que l’usage prolongé d’hydroquinone est légalement limité à 2 % dans les préparations magistrales.
Regard des sociologues et perspectives
Pour Éric Aimé Kouizoulou, le recul du blanchiment témoigne d’une maturation identitaire. « Les jeunes s’émancipent d’un complexe historique. Ils redéfinissent les critères de réussite hors du prisme colonial », analyse-t-il. Les médias congolais, plus nombreux, participent à cette revalorisation.
Reste la question de l’intérieur du pays, où la sensibilisation avance plus lentement faute de dermatologues. Les ONG estiment toutefois que l’effet d’entraînement venu des villes finira par gagner les campagnes. Si la tendance se confirme, la dépigmentation pourrait devenir marginale d’ici cinq à dix ans.