Une initiative privée pour la sécurité
Depuis début juillet, le siège d’Ager Aliment, dans le troisième arrondissement de Brazzaville, s’est transformé en salle de classe insolite. Entre piles de casques neufs et panneaux de signalisation, une centaine de motos garées rappellent la texture concrète de cette formation inédite.
L’entreprise agroalimentaire dirigée par Hugues Henry Ngouélondélé avait promis d’allier responsabilité sociale et sécurité routière; elle concrétise cet engagement en offrant aux conducteurs de taxis-motos un programme complet pour décrocher le précieux sésame: le permis A, souvent hors de portée financière.
1000 jeunes formés en trois mois
En trois mois, exactement du 3 juillet au 8 septembre, mille mototaximen issus des neuf arrondissements de la capitale ont suivi assidûment les séances. Les inscriptions se sont faites en ligne ou via les comités de quartier, garantissant une représentativité équilibrée entre les différents axes routiers.
Chaque promotion de cinquante stagiaires alternait cours théoriques le matin et sorties encadrées l’après-midi. « Nous ne voulions pas d’un simple rappel du code, mais d’un accompagnement vers le professionnalisme », insiste Alain Mavoungou, instructeur principal et ancien inspecteur des transports urbains.
Des cours pratiques et théoriques adaptés
Au programme figuraient la signalisation verticale et horizontale, les règles de priorité, les angles morts, sans oublier la mécanique de base pour anticiper une panne de frein. Les participants manipulaient directement cônes et talkie-walkies sur une piste reproduisant la circulation du boulevard Denis-Sassou-Nguesso.
Les formateurs ont insisté sur la position du corps, la tenue du guidon, l’évitement des piétons et l’adaptation de la vitesse selon la météo. « Le moindre réflexe sauve une vie », rappelle la gendarme Jocelyne Ondongo, venue sensibiliser sur le port systématique du casque homologué.
Objectif : zéro accident et insertion durable
Selon la cellule municipale de la circulation, les taxis-motos sont impliqués dans près d’un accident corporel sur trois à Brazzaville. Ager Aliment veut inverser la tendance en dotant les jeunes d’outils techniques, mais aussi d’une culture de la prudence qui rejaillira sur l’ensemble du trafic.
Sur le volet social, l’entreprise assume le pari de l’autonomie. Un motard formé, détenteur d’un permis et conscient des normes, voit ses revenus augmenter de 20 % en moyenne, estiment les études internes, grâce aux contrats réguliers avec les plateformes de livraison toujours plus exigeantes.
Des permis de conduire entièrement pris en charge
Moment le plus attendu, la remise des permis s’est déroulée dans la grande salle de la préfecture avec la présence symbolique d’agents de la Direction générale des transports terrestres. Les mille lauréats sont repartis avec le document officiel, les frais ayant été avancés par Ager Aliment.
« Sans ce coup de pouce, j’aurais économisé deux ans », glisse Armand, 24 ans, père d’un enfant. Pour beaucoup, le prix moyen de 150 000 francs CFA reste un obstacle. La prise en charge lève ce verrou et réduit la tentation de conduire sans titre, source d’amendes.
Vers un déploiement national de la démarche
Devant les caméras locales, Hugues Henry Ngouélondélé a confirmé l’extension progressive de l’opération aux douze départements du Congo. Les villes portuaires de Pointe-Noire et de Dolisie sont prioritaires, suivies des zones forestières où la moto demeure l’unique moyen fiable d’accès aux villages.
Les futures sessions incluront des modules de gestion financière basique, afin que les bénéficiaires sachent calculer amortissement, entretien et épargne. « Conduire prudemment, c’est aussi gérer ses recettes sans gaspiller », résume le PDG, persuadé que l’éducation budgétaire consolide la réduction de la pauvreté.
Témoignages et attentes des bénéficiaires
Dans la cour, les motards ont improvisé un micro-trottoir filmé pour les réseaux sociaux. Anita, 22 ans, l’une des rares femmes du groupe, explique qu’elle quitte le service à la personne pour se lancer dans la livraison express, « plus rentable et moins précaire », dit-elle.
D’autres saluent la rigueur des contrôles désormais possibles. « Les policiers nous verbalisent moins parce qu’ils voient notre vignette de stage », constate Dieudonné, présent sur la ligne l’aéroport-campus. Selon lui, la relation client s’est améliorée, certains passagers vérifiant désormais le numéro de permis avant de monter.
Un modèle d’engagement citoyen
Pour les économistes locaux, la démarche illustre la capacité des entreprises congolaises à agir en complément de l’État dans la mise en œuvre du Plan national de développement. En ciblant un segment informel mais vital, Ager Aliment contribue à formaliser l’emploi et à sécuriser la mobilité urbaine.
Le succès de la session brazzavilloise crée un précédent susceptible d’inspirer d’autres secteurs: pêche artisanale, transport fluvial ou commerce ambulant. Dans un contexte où la jeunesse recherche des repères concrets, l’alliance entre formation, civisme et perspectives économiques apparaît comme un levier durable de progrès partagé.
De l’avis des autorités municipales, l’impact devrait se mesurer dès la fin d’année sur les statistiques d’accidents. Une commission mixte police-transport-société civile suivra les indicateurs et proposera, si besoin, l’intégration du module dans le cursus des auto-écoles existantes, initiative déjà saluée par la préfecture.
Dans un paysage économique où l’innovation sociale devient un marqueur de compétitivité, le choix d’Ager Aliment confirme que la croissance n’est durable qu’accompagnée d’investissements humains solides.