Une récompense littéraire au parfum de soft power
Le 30 juillet dernier, dans l’auditorium vibrant des Tremplins Mboté hip-hop de Brazzaville, l’annonce a été accueillie par une salve d’applaudissements plus sonores qu’à l’accoutumée. Ange Christ Divin Babakila, poète, slameur et romancier issu de la Bouenza, venait de décrocher le deuxième prix de la dix-neuvième édition de “Chansons sans frontières”, concours qui a réuni cette année un millier de textes originaires de cent six pays (ACI, 5 juillet 2023). Au-delà du succès personnel, cette distinction inscrit le Congo-Brazzaville dans la cartographie des puissances culturelles émergentes, capables de projeter une image nuancée, créative et maîtrisée d’elles-mêmes sur la scène francophone.
Dans un contexte international où l’influence se mesure autant par la force des narratifs que par le déploiement de moyens matériels, la littérature apparaît comme un levier discret mais déterminant. S’emparer d’un podium littéraire face à une concurrence multilatérale conforte l’idée selon laquelle le pays affine sa stratégie de soft power; il fait rayonner, sans prosélytisme tapageur, l’originalité de ses trajectoires humaines et le raffinement d’une langue française appropriée, remodelée, parfois subvertie.
La francophonie, matrice d’influence congo-brazzavilloise
Soutenu par l’Institut français du Congo et l’Organisation internationale de la Francophonie, le concours place la langue au cœur d’un dispositif d’influence partagé. Or, la diplomatie congolaise a depuis plusieurs années identifié la francophonie comme espace stratégique où ses positions peuvent être consolidées sans exposer exagérément son appareil étatique. Le prix Babakila offre l’occasion de réactiver cette matrice: en offrant un visage jeune, inventif et résilient, la République du Congo se présente comme partenaire agile au sein des réseaux culturels globaux.
La multiplication des initiatives régionales – ateliers d’écriture, festivals de slam, résidences croisées avec les pays voisins – s’inscrit désormais dans la planification officielle d’une diplomatie d’influence. À Brazzaville, le ministère de la Culture évoque, en coulisses, la préparation d’un « Parcours francophone des voix émergentes » qui circulerait entre Pointe-Noire, Libreville et Yaoundé. L’idée, rapportée par un conseiller, est de « passer du symbole isolé à l’architecture d’ensemble », renforçant ainsi l’audience internationale d’artistes capables d’incarner la modernité congolaise sans renier ses racines.
Poésie, mémoire et résilience : le message Babakila
Le texte « Cœur salé » est tout sauf un exercice de rhétorique décorative. En convoquant les souvenirs d’une enfance traversée par les secousses d’un conflit armé, l’auteur propose une narration intime où la guerre n’est pas présentée comme fatalité mais comme matrice de dépassement. « J’ai appris tôt que pour être aimé, il fallait d’abord survivre », écrit-il avec une sobriété maîtrisée. L’appel à la survie devient métaphore nationale: d’une histoire collective marquée par la résilience, il fait l’argument même d’une identité en mouvement.
Cette esthétique du traumatisme sublimé trouve un écho dans la diplomatie gouvernementale, orientée vers la valorisation de la paix retrouvée et du dialogue. En évoquant, sans pathos, les heures sombres du pays pour mieux célébrer la capacité d’endurance des populations, Babakila devient, de manière tacite, auxiliaire de la politique de réconciliation et de cohésion nationale portée par les autorités.
Vers une diplomatie culturelle de plein exercice
Si les chiffres économiques demeurent un indicateur incontournable de puissance, les chancelleries savent aujourd’hui que l’imaginaire collectif se conquiert avec des récits avant de se consolider par les alliances. Dans le contexte de la relance post-pandémique, la République du Congo s’emploie à diversifier ses vecteurs d’influence. Le secteur extractif reste un pilier, mais la culture s’impose comme complément nécessaire pour bâtir une image de stabilité et d’ouverture. Interrogé sur cette orientation, un haut fonctionnaire du ministère des Affaires étrangères relève que « les œuvres littéraires parlent plus vite que nos communiqués », confirmant ainsi la valeur diplomatique d’événements comme « Chansons sans frontières ».
Les partenaires occidentaux, tout comme les émergents que sont la Chine ou la Turquie, développent déjà des programmes d’échanges artistiques. Le succès de Babakila apporte un argument concret pour négocier de nouveaux accords de coopération culturelle, créant des ponts entre diplomates, investisseurs et mécènes. L’Ifc, en orchestrant la visibilité du lauréat, se positionne désormais comme plateforme d’influence réciproque, intégrant la scène congolaise à un réseau global de création.
Perspectives pour le rayonnement du Congo-Brazzaville
Les retombées d’une récompense littéraire peuvent paraître immatérielles, mais elles s’agrègent à la longue pour façonner une réputation. En 2024, le ministère de la Culture annonce la création d’un Fonds d’appui aux industries créatives, doté de dix milliards de francs CFA, destiné à accompagner les artistes dont les productions traversent les frontières. Le cas Babakila servira, à n’en pas douter, de modèle pilote pour mesurer l’efficacité du dispositif et convaincre les bailleurs internationaux.
Cette dynamique s’inscrit dans la vision présidentielle d’un Congo résolument tourné vers l’innovation et la jeunesse. Promouvoir une élite artistique capable de dialoguer avec le monde équivaut à inscrire la stabilité politique et la prospérité sociale dans un récit international audible. À Brazzaville comme à Paris, les observateurs voient poindre la consolidation d’un soft power africain, subtil, fondé sur la poésie autant que sur la diplomatie classique. Que « Cœur salé » emporte la faveur d’un jury global renvoie, en définitive, à la capacité d’un pays à raconter l’universel depuis ses racines locales : un atout que le Congo-Brazzaville entend désormais valoriser à part entière.