Pourquoi une nouvelle vigilance ?
Depuis quelques mois, le débat sur la transparence financière a gagné les couloirs ministériels de Brazzaville. Les autorités, conscientes du regard des organismes internationaux, multiplient les signaux pour prouver leur détermination à freiner le blanchiment de capitaux et ses dérives criminelles.
La récente publication d’Isaac Gervais Onghabat, directeur des Risques et Contrôles à la direction générale du Contrôle d’État, vient alimenter cet élan. L’expert y formule un plaidoyer pour une cartographie nationale des risques, jugée indispensable à toute politique préventive crédible.
À ses yeux, se doter d’un outil de classification claire deviendrait la meilleure preuve que le Congo-Brazzaville entend rester hors de la liste grise du GAFI, tout en profitant de flux financiers plus sains et mieux tracés pour soutenir son développement.
La stratégie nationale en chantier
Le ministère des Finances a déjà élaboré un plan d’action triennal axé sur la conformité, la supervision et les sanctions. La note d’Onghabat s’y greffe en insistant sur le maillon pourtant le moins visible : la connaissance fine des vulnérabilités sectorielles.
Concrètement, il propose la création d’un comité national de maîtrise des risques placé sous l’autorité du Premier ministre. Ce comité aurait mandat de collecter, centraliser et mettre à jour les données qui permettront de prioriser les inspections et les formations.
L’idée séduit plusieurs acteurs bancaires rencontrés à la Fédération des entreprises du Congo, qui voient dans cette gouvernance resserrée un gage de lisibilité. « Savoir où diriger nos efforts réduirait les coûts de conformité », confie un responsable risque d’une banque de la place.
Des standards internationaux adaptés au contexte congolais
La recommandation 1 du GAFI impose à chaque État d’adopter une approche fondée sur les risques. Pour Onghabat, l’enjeu est de traduire ce principe en procédures simples, soutenues par une base juridique déjà solide depuis la loi 9-22 promulguée en 2022.
Cette loi définit les infractions assimilées et élargit le rôle de la Cellule nationale de renseignements financiers. Les autorités de poursuite pénale, les régulateurs et le secteur privé disposent ainsi d’un cadre clair pour coopérer et échanger des informations sensibles.
Le texte prévoit aussi des amendes proportionnées, jugées dissuasives sans être paralysantes. Une mesure saluée par la Conférence des notaires, qui redoutait un durcissement brutal pouvant freiner l’investissement immobilier, souvent mal compris dans les précédentes évaluations mutuelles.
Cartographier le risque pour mieux cibler l’action
La cartographie proposée classera les risques en deux familles : non-conformité et risques inhérents. Les premiers renvoient aux failles dans les processus internes, les seconds à la nature même des produits financiers ou des zones géographiques où ils circulent.
Chaque secteur – assurance, change, transfert d’argent, immobilier, BTP – sera noté selon une échelle harmonisée. Les scores les plus élevés déclencheront des contrôles renforcés, tandis que les secteurs jugés moins critiques bénéficieront d’allègements normatifs pour soutenir la compétitivité.
Onghabat suggère d’alimenter l’outil avec des sources multiples : rapports d’audit, saisies douanières, déclarations d’opérations suspectes et enquêtes de terrain. Le Big Data pourrait faciliter l’actualisation semestrielle, condition sine qua non pour anticiper les typologies émergentes.
Défis pratiques et attentes des acteurs
Le premier défi reste le financement du dispositif. Selon le ministère du Budget, le coût initial avoisinerait deux milliards de francs CFA, notamment pour la plateforme numérique sécurisée. Une ligne spécifique pourrait être inscrite au projet de loi de finances 2024.
La formation des agents constitue l’autre point noir. Le Gabac propose déjà des modules, mais le rythme des sessions reste limité. « Former une centaine de contrôleurs supplémentaires par an est réalisable, à condition d’introduire des sessions hybrides », estime un consultant accrédité ISO 31000.
Enfin, le secteur informel échappe encore à la plupart des radars. Le comité aura pour mission d’impliquer les associations de changeurs de devises et de distributeurs de téléphonie mobile, afin de collecter des données jugées jusqu’ici trop éparses pour être exploitables.
Cap sur une conformité durable
Brazzaville entend présenter sa cartographie aux évaluateurs du GAFI lors du prochain cycle en Afrique. Les officiels espèrent ainsi consolider la réputation d’un pays respectueux des normes, condition préalable à l’arrivée d’investisseurs institutionnels encore frileux.
À moyen terme, le gouvernement mise sur la digitalisation des procédures d’identification client et la généralisation de la signature électronique. Ces outils réduiraient les interactions physiques, souvent sources de fraude, tout en accélérant les opérations commerciales légitimes.
« Nous voulons instaurer une culture du contrôle continu, non une campagne ponctuelle », résume un haut cadre du Contrôle d’État. Si l’ensemble des propositions se concrétise, la cartographie nationale pourrait devenir la boussole stratégique pour un environnement financier plus sûr et plus inclusif.
L’adhésion du secteur privé sera scrutée avec attention. Les banques locales, déjà engagées dans la certification ISO 37301 sur la conformité, pourraient devenir des partenaires pilotes. Leur retour d’expérience alimenterait la mise à jour permanente de la cartographie et consoliderait un climat d’affaires responsable.