Une success story en question
Au Congo-Brazzaville, Noki-Noki incarnait le rêve technologique d’une jeunesse avide de solutions locales. Depuis Brazzaville, son fondateur Jonathan Yanghat faisait la une des médias, vantant des livraisons éclair portées par une levée annoncée de deux millions de dollars.
Le récit était séduisant : deux motos, puis des flottes urbaines s’étendant vers Pointe-Noire, Douala ou Abidjan. L’ascension, souvent citée en exemple lors d’incubateurs publics, semblait confirmer qu’un cadre réglementaire stable pouvait attirer des capitaux privés dans l’économie numérique sous-régionale.
Les découvertes des enquêteurs
Pourtant, la progression fulgurante s’est brutalement interrompue fin août 2025. Une enquête judiciaire a mis au jour un soupçon de détournement de plus d’un milliard de francs CFA, supposément orchestré par Ferida Mbonzo, salariée de la BGFI Bank et compagne du jeune entrepreneur.
Le parquet de Brazzaville confirme la détention provisoire du couple ainsi que celle d’une assistante, sans préciser son rôle. Dans un communiqué, le procureur évoque un « préjudice sérieux pour la confiance bancaire » et assure collaborer étroitement avec la cellule nationale de traitement des informations financières.
La réaction rapide de la BGFI Bank
L’affaire a aussitôt suscité un flot de commentaires sur les réseaux sociaux, certains usagers redoutant un effet domino sur le secteur bancaire congolais. Des experts rappellent toutefois que la Banque centrale a récemment renforcé les exigences de fonds propres et impose des contrôles internes scrutés lors d’audits trimestriels.
La BGFI Bank Congo, première concernée, a réagi dans la journée du 30 août par un texte détaillé. Elle insiste sur le caractère individuel des faits, souligne que l’employée incriminée est majeure et affirme que ses procédures internes, certifiées ISO 9001, ont permis de déceler l’anomalie.
« Notre institution demeure fiable, solide et résiliente », assure la direction générale, qui met en avant la « longévité gage de confiance » de son président du conseil, Jean-Dominique Okemba. La banque précise qu’aucun manquement aux normes prudentielles n’a été relevé par les commissaires aux comptes externes.
Confiance des clients et solidité du secteur
Selon plusieurs analystes locaux, la tonalité du communiqué vise autant à rassurer les déposants qu’à protéger les projets structurants soutenus par BGFI Bank, notamment dans les infrastructures routières et l’agro-industrie. Les investissements en cours totaliseraient plus de 350 milliards de francs CFA, rappellent-ils.
Pour les entrepreneurs interrogés à Brazzaville, l’incident rappelle l’importance d’une gouvernance irréprochable. « Nous devons continuer de séduire les fonds régionaux sans alimenter la méfiance », souligne Cynthia Obambi, cofondatrice d’une plateforme d’e-commerce. Elle salue la réaction rapide de la banque, jugée « transparente » malgré la sensibilité du dossier.
Le ministère des Finances, sollicité pour commentaire, rappelle que la loi de 2019 sur la lutte contre le blanchiment impose aux banques une obligation de déclaration systématique des transactions suspectes. « Les règles sont claires ; leur application protège la place financière », note un conseiller qui requiert l’anonymat.
Du point de vue macro-économique, l’affaire ne remet pas en cause la solidité globale du système congolais, estiment les économistes de l’université Marien-Ngouabi. Le ratio moyen de solvabilité des établissements dépasse actuellement 14 %, au-dessus de la norme communautaire fixée à 8 %.
Enjeux pour l’écosystème entrepreneurial
Les juristes pensent que le procès, attendu d’ici quelques mois, servira de précédent. Me Nganga, avocat au barreau de Brazzaville, estime que « l’individualisation des peines » mise en avant par la BGFI Bank pourrait guider d’autres entreprises confrontées à des fraudes internes sans pour autant fragiliser le climat d’affaires.
Sur le terrain, les livreurs de Noki-Noki poursuivent leurs tournées sous la supervision d’un administrateur provisoire désigné par le tribunal de commerce. La société, placée sous sauvegarde, espère préserver ses 120 emplois directs et honorer les partenariats logistiques noués avec plusieurs supermarchés de la capitale.
D’anciens collaborateurs évoquent une culture interne focalisée sur la croissance, parfois au détriment des vérifications comptables. Une source proche de la start-up reconnaît que « la pression pour lever vite des fonds » a pu brouiller les lignes, même si rien n’indique que l’équipe opérationnelle ait eu connaissance des détournements.
Pour l’écosystème des jeunes pousses congolaises, l’épisode agit comme un électrochoc salutaire. Les hubs numériques de Brazzaville annoncent déjà des sessions de formation sur la conformité, afin d’éviter que l’enthousiasme entrepreneurial ne masque de futures failles de gouvernance.
Perspectives de conformité renforcée
La BGFI Bank, de son côté, prévoit une mission d’audit indépendante et promet de publier un rapport public. Dans un marché où la stabilité financière reste un pilier du développement national, l’institution entend démontrer que sa résilience soutient les ambitions économiques portées par les autorités congolaises.
Les bailleurs multilatéraux surveillent la procédure, soulignant que la transparence du règlement influencera la notation souveraine. Un expert de la Banque africaine de développement rappelle que « l’intégrité bancaire demeure une variable essentielle pour mobiliser l’épargne diasporique et financer les corridors d’intégration sous-régionaux ».
À moyen terme, le Parlement pourrait examiner un amendement élargissant les pouvoirs de l’Autorité de contrôle des assurances et du marché financier. Ce texte prévoirait des sanctions administratives rapides, complémentaires aux poursuites pénales, afin de dissuader toute tentative future d’irrégularité dans les établissements supervisés.