Menace des bébés noirs à Brazzaville et Pointe-Noire
La peur s’est installée dans plusieurs quartiers de Brazzaville et Pointe-Noire depuis plus d’une décennie. Des bandes d’adolescents, surnommées bébés noirs ou kulunas, se livrent à des agressions parfois mortelles, armées de couteaux ou machettes, semant un climat d’insécurité du matin au soir.
Ce banditisme juvénile concerne des jeunes de 13 à 30 ans, souvent déscolarisés et sans emploi. Leur mode opératoire repose sur des raids éclairs, l’intimidation collective et l’appropriation symbolique de ruelles qu’ils rebaptisent “Américains” ou “Arabes”, signe d’une influence culturelle hybride.
Le procureur de la République près le tribunal de grande instance de Brazzaville, André Oko Ngakala, n’hésite pas à comparer leurs méthodes à du terrorisme urbain, tant la brutalité dépasse parfois le simple vol pour atteindre des blessures graves ou des homicides.
Facteurs sociaux et économiques du phénomène
La plupart des jeunes impliqués grandissent dans des foyers marqués par la précarité, le chômage des parents et l’exode rural. Lorsque les revenus chutent, quitter l’école devient souvent la première variable d’ajustement, ouvrant la porte à l’oisiveté et à la tentation des gangs.
La densité démographique de certains arrondissements, combinée à la faible présence de commissariats, tribunaux ou services d’état-civil, renforce le sentiment d’impunité. Sans interlocuteur institutionnel accessible, les querelles de voisinage se règlent parfois à l’arme blanche plutôt qu’au dialogue.
À cette réalité s’ajoute l’héritage encore palpable des conflits du passé. La circulation d’armes blanches, la banalisation de la violence et la diffusion de stupéfiants bon marché constituent un cocktail qui encourage l’adhésion aux groupes les plus violents.
Opération Coup de poing et premier impact
Face à l’ampleur du phénomène, la gendarmerie et la police ont lancé le 14 mai 2024 l’opération mixte Coup de poing. Patrouilles renforcées, points de contrôle mobiles et interpellations ciblées ont permis de désarticuler plusieurs cellules actives et de saisir des armes artisanales.
Plusieurs habitants interrogés estiment que la présence dissuasive des forces de l’ordre a ramené une sérénité relative dans certains secteurs. «On rentre plus tard sans craindre le carrefour», témoigne Patrick, commerçant au marché de Moungali.
Cependant, des organisations de défense des droits rappellent que la lutte contre le banditisme doit se concilier avec un strict respect des garanties procédurales. L’accès limité à l’assistance juridique et la surpopulation des cellules de garde à vue restent des difficultés reconnues par les autorités.
Centres de rééducation, nouvel horizon gouvernemental
Conscient que la répression seule ne tarira pas la source, le gouvernement prévoit l’ouverture progressive de centres de rééducation. Le site pilote d’Aubeville, dans la Bouenza, devrait accueillir ses premiers pensionnaires en 2025, avec un encadrement mêlant formation professionnelle, accompagnement psychosocial et activités sportives.
En parallèle, l’Agence nationale de l’insertion et de la réinsertion sociale des jeunes, créée en 2024, cartographie les zones les plus touchées pour orienter des bourses d’apprentissage, des stages en entreprise et des micro-crédits, afin d’offrir une alternative économique crédible aux anciens membres de gangs.
Prévention par formation et mentorat
Pour Dr Diaz Patrice Badila Kouendolo, gériatre congolais installé en France et observateur engagé, «la prévention passe d’abord par la scolarisation jusqu’à 16 ans, soutenue par des écoles de la seconde chance pour ceux qui décrochent». Il plaide aussi pour le mentorat communautaire.
Ce mentorat mobiliserait entrepreneurs locaux, artistes et sportifs de haut niveau, figures capables de démontrer que la réussite est possible sans violence. Des programmes pilotes de slam, de football de rue et d’art mural expérimentés dans le sixième arrondissement de Brazzaville suscitent déjà un intérêt prometteur.
L’implication des familles s’avère tout aussi décisive. Des associations de mères financées par des micro-fonds municipaux organisent des maraudes nocturnes, distribuent des repas et encouragent le retour au domicile. Selon elles, rétablir le dialogue intergénérationnel limite les recrutements de mineurs par les bandes.
Un recensement biométrique fiable de la population est également jugé essentiel pour cibler les aides et suivre l’évolution des bénéficiaires. Le ministère chargé de l’Administration du territoire étudie déjà la possibilité de coupler le futur registre national à des programmes de transfert monétaire conditionnel.
Financement local et services de proximité
Les collectivités locales disposent également d’un levier budgétaire modeste mais réactif. Plusieurs conseils départementaux ont adopté des fonds d’urgence pour financer la réparation des lampadaires cassés, le débouchage des caniveaux et la présence d’agents de médiation issus du voisinage immédiat.
Perspectives pour la sécurité urbaine
Le calendrier gouvernemental prévoit une évaluation trimestrielle de l’opération Coup de poing et un premier bilan complet en décembre 2024. Les indicateurs surveillés incluent le nombre d’agressions, les taux de récidive des interpellés et l’intégration des jeunes dans les dispositifs de formation.
À moyen terme, l’objectif affiché est de transformer les zones historiquement qualifiées de “non-droits” en quartiers d’opportunités. L’arrivée de nouveaux éclairages publics, la réhabilitation de terrains de sport et la mise en service d’espaces numériques ouverts devraient compléter l’arsenal sécuritaire.
Si la tâche demeure complexe, la combinaison d’une action sécuritaire ferme et d’un accompagnement social novateur offre une voie crédible. Le pari est clair : réduire drastiquement l’emprise des bébés noirs, sans briser l’espoir d’une jeunesse qui réclame avant tout un avenir.