Des stratégies de repli aux racines multiples
Depuis la cession par Société Générale de plusieurs filiales maghrébines et subsahariennes, jusqu’au désengagement quasi total de BNP Paribas en Afrique de l’Ouest, le mouvement s’apparente moins à une turbulence passagère qu’à un repositionnement stratégique méthodique. Les directions des groupes concernés invoquent, en priorité, la recherche d’un rendement ajusté au risque plus prévisible sur les marchés dits core, la densité normative croissante imposée par Bâle III et l’évolution des notations souveraines africaines. Le phénomène s’inscrit dans la temporalité longue inaugurée après la crise financière de 2008 ; il a simplement gagné en visibilité depuis 2023 à mesure que la remontée des taux en Europe offrait des marges domestiques supérieures.
Risques perçus et asymétrie réglementaire
Du point de vue des conseils d’administration, le continent cumulerait volatilité monétaire, gouvernance parfois jugée imprévisible et vulnérabilités sécuritaires. Or, les sanctions extraterritoriales liées à la lutte contre le blanchiment et le financement du terrorisme ont renchéri le coût de la conformité. En pratique, un prêt octroyé à Pointe-Noire ou à Ouagadougou mobilise désormais autant de capitaux réglementaires qu’un financement structuré à Paris, sans offrir le même profil de risque selon les barèmes prudentiels européens. Cette asymétrie a nourri une logique de de-risking qui conduit les banques à se retirer plutôt qu’à adapter leurs modèles.
Un marché africain encore sous-bancarisé
Le paradoxe est manifeste : au moment précis où la jeunesse urbaine du continent adopte massivement les paiements numériques, moins de la moitié des adultes dispose d’un compte bancaire formel, d’après la Banque mondiale. L’Afrique centrale illustre ce décalage. À Brazzaville comme à Pointe-Noire, la pénétration bancaire dépasse à peine 20 %, alors même que la croissance démographique et la densification des zones économiques spéciales créent un besoin aigu de financements de proximité. L’essentiel des transactions demeure en espèces, ce qui réduit les traces financières et alourdit le coût du crédit pour les entreprises.
Nouveaux financeurs, nouvel échiquier géopolitique
La place laissée vacante par les établissements occidentaux attire des acteurs mus par d’autres impératifs. Les grands conglomérats chinois, soutenus par China Exim Bank, financent des corridors logistiques tout en développant leurs capacités de trade finance. Les banques du Golfe testent des lignes islamiques conformes à la charia sur des marchés encore vierges. De son côté, la Banque africaine de développement accompagne la résilience post-Covid en injectant des fonds de garantie dans les petites et moyennes entreprises. L’enjeu n’est plus seulement d’accéder au crédit ; il s’agit de négocier les règles du jeu, tant tarifaires que normatives, au sein d’un monde que les chancelleries décrivent désormais comme multipolaire.
La République du Congo face au défi des financements
À Brazzaville, les autorités monétaires observent le retrait français sans alarmisme excessif. Dans une note publiée par le ministère des Finances, un haut responsable souligne que « la diversification des partenaires constitue une chance de sortir d’une dépendance historique ». Le gouvernement a récemment validé un cadre d’incitations pour les investisseurs bancaires régionaux, tout en renforçant les contrôles de conformité afin de protéger la place financière locale. Cette posture équilibrée, qui conjugue ouverture et vigilance, s’aligne sur la stratégie plus large portée par le président Denis Sassou Nguesso : faire de la République du Congo un hub de services dans le bassin du Congo tout en maintenant la stabilité macroéconomique.
Des corridors d’opportunités pour les banques africaines
Des acteurs panafricains tels qu’Attijariwafa Bank, Vista Bank ou BGFI capitalisent sur leur connaissance fine des tissus économiques nationaux. Leur agilité technologique leur permet de proposer des solutions de mobile money ou de micro-crédit adossées à des algorithmes d’évaluation du risque contextualisés. À Pointe-Noire, la plateforme d’affacturage numérique lancée par une banque congolaise en partenariat avec la Banque de développement des États de l’Afrique centrale traduit cette dynamique. L’absence relative des établissements français ouvre des corridors d’expansion régionale, depuis le corridor Abidjan-Libreville jusqu’à la dorsale Douala-Brazzaville-Kinshasa.
Vers une souveraineté financière continentale
Le vide laissé par les désinvestissements européens ne saurait être considéré comme un gouffre béant. Il peut, au contraire, catalyser la constitution de pools de liquidités purement africains, favoriser la mise en place de chambres de compensation régionales et accélérer l’interopérabilité des systèmes de paiement. Les États, pour leur part, sont appelés à jouer un rôle de stratège, en calibrant des régulations proportionnées, en soutenant des fonds de garantie et en stimulant l’émission d’obligations domestiques libellées en monnaie locale. L’objectif à moyen terme est clair : que la décision de financement d’un projet énergétique en République du Congo soit prise à Brazzaville ou à Lagos, plutôt qu’à Paris ou à Londres. Dans cette perspective, la recomposition actuelle doit être lue moins comme un retrait qu’en tant que passerelle vers une autonomie financière que la jeunesse africaine appelle de ses vœux.