Des toges scolaires dans l’enceinte carcérale
Brazzaville, 20 septembre. Les couloirs de la maison d’arrêt et de correction ont brièvement troqué leur atmosphère feutrée contre l’éclat des toges scolaires : quatorze détenus ayant décroché le baccalauréat 2025 y ont reçu leur attestation, sous l’œil attentif du colonel-major Jean Blaise Komo.
Célébrée au rythme de chants improvisés, la cérémonie marque une première historique pour l’établissement, qui n’avait jamais remis officiellement de diplômes d’État entre ses murs. L’événement symbolise l’importance accordée par les autorités à l’éducation, même dans les conditions les plus contraignantes.
Étudier derrière les barreaux
Parmi les heureux lauréats, certains purgeaient de courtes peines pour délits mineurs, d’autres attendaient encore leur jugement. Leur dénominateur commun : avoir transformé les heures d’enfermement en temps d’étude, souvent à la lumière vacillante des ampoules de couloir, guidés par des enseignants bénévoles.
« Nous avons révisé dans les cellules, assis sur des nattes, partageant un seul manuel pour trois, raconte Emmanuel, 23 ans. Réussir prouvait que notre avenir ne se limite pas à quatre murs ». Son sourire retenu contraste avec les lourdes chaînes de son quotidien.
Une requête de grâce présidentielle
Après la remise des relevés, les bacheliers ont adressé une requête collective à la présidence de la République, sollicitant une grâce qui leur permettrait d’intégrer, dès octobre, les amphis de l’Université Marien-Ngouabi ou de l’Université Denis-Sassou-Nguesso nouvellement ouverte à Kintélé.
« Les années 2024 et 2025 sont celles de la jeunesse, proclamées par Son Excellence le président Denis Sassou Nguesso. Nous voulons incarner cet élan en étudiant librement et en servant plus tard la nation », ont-ils écrit, reprenant les termes d’un discours déjà envoyé au ministère de la Justice.
La position de l’administration pénitentiaire
Le colonel-major Jean Blaise Komo a salué une démarche « mûrement réfléchie » et promet de transmettre le dossier « dans les plus brefs délais ». L’officier insiste toutefois sur la discipline : les détenus doivent continuer à suivre les cours de soutien internes tant que leur statut pénal n’évolue pas.
Il rappelle que le baccalauréat demeure le premier diplôme universitaire et ouvre droit à la plateforme nationale d’orientation. « Avoir un projet clair facilitera la décision de clémence », souligne-t-il, évoquant les instructions du garde des Sceaux visant à promouvoir une réinsertion durable.
Un taux de réussite record
Les statistiques internes confirment la vigueur du programme scolaire : sur dix candidats au BEPC, neuf ont été admis ; sur onze enfants inscrits au CEPE, dix réussissent ; enfin, quatorze sur quatorze décrochent le baccalauréat, soit un taux de 100 % inédit derrière les barreaux.
Ces résultats dépassent largement ceux de l’an passé, où la pandémie de Covid-19 avait perturbé les sessions de révision et les rotations des formateurs volontaires. Les responsables pénitentiaires parlent d’un « déclic collectif » suscité par l’arrivée de nouveaux manuels et d’ordinateurs offerts par des partenaires.
Des tablettes tactiles reconditionnées, connectées au réseau intranet sécurisé, ont également été livrées. Elles donneront accès à la plateforme de pré-inscription universitaire et à des cours en ligne adaptés.
Familles et ONG en appui
Dans la cour de visite, plusieurs mères, foulard serré sur la tête, brandissaient les photocopies des relevés de notes comme un trophée. « Le gouvernement a entendu notre prière », confie Micheline, maman d’un lauréat, la voix entrecoupée de sanglots que l’on devine autant de joie que de soulagement.
Les associations d’aumônerie estiment que cette reconnaissance officielle renforce le lien famille-prisonnier, base indispensable d’une réinsertion réussie. Elles encouragent la poursuite des formations professionnelles en couture, menuiserie et informatique déjà opérationnelles dans l’établissement, afin d’offrir un panel complet de débouchés une fois la porte franchie.
Réinsertion et vision nationale
Dans la stratégie nationale de modernisation des prisons, adoptée en 2022, l’accent est mis sur l’éducation comme vecteur de paix sociale et de réduction de la récidive. Le Parlement avait alors voté un budget spécifique pour les bibliothèques carcérales et la rémunération symbolique des enseignants volontaires.
Pour l’expert en criminologie Rodrigue Bissila, « un détenu diplômé coûte moins cher à la collectivité qu’un récidiviste. L’instruction produit un sentiment d’appartenance constructive ». Il plaide donc pour que la grâce demandée tienne compte non seulement du mérite académique mais aussi du parcours disciplinaire.
Au cabinet du ministre de la Justice, on confirme que la procédure de clémence suit plusieurs étapes : proposition de la direction pénitentiaire, avis du parquet, puis décret présidentiel. Aucun calendrier n’est public, mais les sources assurent qu’une décision pourrait intervenir avant la rentrée universitaire.
En attendant, les nouveaux bacheliers poursuivent les cours d’anglais, de méthodologie et d’informatique dispensés par la Croix-Rouge et l’ONG Action Éducative. Les cahiers tout neufs livrés cette semaine portent un slogan écrit à la main : « Savoir pour servir », comme un mantra d’espoir.
Qu’ils obtiennent ou non la grâce, leur réussite académique pose une pierre de plus dans la construction d’un système pénitentiaire tourné vers l’avenir. Et rappelle à tous que la jeunesse congolaise, même derrière les barreaux, veut participer activement au développement du pays.