Une célébration planétaire à l’heure congolaise
Chaque 9 août, la communauté internationale se penche sur le sort de quelque 476 millions de personnes réparties dans plus de quatre-vingts pays. La Journée internationale des peuples autochtones, instaurée par l’Assemblée générale des Nations unies en 1994, n’est plus une simple commémoration symbolique ; elle sert de baromètre aux avancées juridiques, sociales et économiques en faveur de ces communautés souvent reléguées aux marges. À Brazzaville, le rendez-vous de 2025 s’est ouvert sur un message clair : les peuples autochtones constituent une richesse nationale et non un appendice folklorique. Le ministre de la Justice, des Droits humains et de la Promotion des peuples autochtones, Aimé Ange Wilfrid Bininga, a rappelé que « leur sagesse pluriséculaire éclaire les choix contemporains », soulignant ainsi l’interdépendance entre modernité et tradition au Congo-Brazzaville.
Un leadership juridique consolidé depuis 2011
La République du Congo se targue, à juste titre, d’avoir été la première nation africaine à promulguer une loi spécifique à la promotion et à la protection des droits des populations autochtones. Adopté en février 2011, ce texte de référence garantit l’accès à l’éducation, à la santé, à l’emploi et à la citoyenneté civile, tout en reconnaissant explicitement la propriété intellectuelle collective des connaissances traditionnelles. Pour de nombreux observateurs régionaux, cette loi demeure un jalon qui inspire encore les travaux normatifs de pays voisins (Commission africaine des droits de l’homme, 2023).
Les autorités congolaises ne manquent pas de rappeler que ce cadre législatif a permis de sécuriser juridiquement plus de 1500 actes de naissance, de soutenir la scolarisation de milliers d’enfants autochtones et de favoriser la formation d’agents de santé communautaires issus de ces mêmes communautés. « La reconnaissance de droits n’a de sens que si elle se matérialise par des services publics effectifs », insiste un haut fonctionnaire du ministère de la Justice.
Intelligence artificielle : convergences entre tradition et innovation
Le thème de 2025, « Les peuples autochtones et l’intelligence artificielle : défendre les droits, façonner l’avenir », propulse les débats congolais sur un terrain prospectif. L’intelligence artificielle, parfois perçue comme le chantre d’une globalisation uniformisante, est désormais envisagée comme un vecteur de sauvegarde des langues, des pharmacopées et des récits oraux. « L’IA ne doit pas se limiter à cartographier le passé ; elle est appelée à amplifier la voix des gardiens de la forêt », fait remarquer un chercheur du Centre africain de recherche sur l’intelligence artificielle (CARIA) basé à Brazzaville.
Le gouvernement a annoncé l’extension progressive de la connectivité internet dans les zones forestières du département de la Sangha, ainsi qu’un programme de bourses destiné à former une centaine de jeunes autochtones aux métiers du numérique. Ces futurs développeurs sont invités à concevoir, en langues locales, des applications de reconnaissance botanique ou de géolocalisation des sites sacrés, garantissant ainsi la traçabilité et la protection des savoirs ancestraux.
Entre avancées tangibles et défis persistants
L’accueil, en mai 2024, du premier Congrès mondial des peuples autochtones et des communautés locales des bassins forestiers a confirmé l’ancrage de Brazzaville comme plateforme de diplomatie environnementale. La Déclaration qui en a découlé, désormais citée dans plusieurs forums climatiques, plaide pour un partage équitable des bénéfices issus du carbone forestier et pour la participation pleine et entière des autochtones aux processus de décision. Pour le professeur Amar Nkombo, politologue à l’Université Marien-Ngouabi, « le Congo a gagné en visibilité, mais il lui faudra transformer l’essai en renforçant les services sociaux de base dans les districts ruraux ».
Le ministère de la Justice reconnaît volontiers la persistance de défis logistiques, notamment l’acheminement d’enseignants qualifiés dans les zones reculées et la lutte contre les stéréotypes. Néanmoins, des médiateurs interculturels ont déjà été recrutés dans plusieurs centres de santé, tandis que la radio communautaire Nganga FM émet chaque semaine un magazine bilingue consacré à la valorisation des langues téké et mbenzelé.
Perspectives pour une citoyenneté inclusive
Au-delà des annonces, le cap est fixé : faire des peuples autochtones des acteurs à part entière de la stratégie nationale de l’intelligence artificielle et, plus largement, du développement durable. Sous l’impulsion du président Denis Sassou N’Guesso, le gouvernement entend consolider les acquis législatifs, amplifier la voix autochtone dans les instances de gouvernance et soutenir la création d’entreprises sociales valorisant le patrimoine culturel.
La perspective du Sommet Afrique–IA programmé à Brazzaville début 2026 offre une fenêtre stratégique. Les délégations autochtones y présenteront des prototypes d’algorithmes éthiques fondés sur leurs propres critères de bien-vivre, confirmant que la technologie la plus pointue peut aussi être l’alliée de la diversité. « Construisons ensemble une société congolaise inclusive, respectueuse de sa diversité et résolument tournée vers l’avenir », avait exhorté le ministre Bininga le 9 août. Deux décennies après la reconnaissance internationale de leur journée, les peuples autochtones du Congo ne se contentent plus d’être célébrés ; ils codéterminent désormais les contours de la modernité nationale.