Un dialogue municipal aux accents diplomatiques
La visite à Brazzaville d’Olivier Araujo, maire de Charly, petite commune de la métropole de Lyon, illustre la place grandissante que prennent les collectivités territoriales dans la diplomatie contemporaine. Reçu au Sénat par son président, Pierre Ngolo, l’édile français a d’emblée reconnu « la densité et la cordialité » d’un entretien consacré à deux priorités partagées : l’assainissement urbain et la décentralisation. Loin d’être anecdotique, ce face-à-face témoigne de la perméabilité croissante entre l’agenda local et les objectifs de politique étrangère – une évolution que la diplomatie congolaise revendique depuis la Conférence nationale de 1991 et que Paris encourage désormais via sa stratégie d’influence territoriale, confirme un conseiller à l’ambassade de France à Brazzaville.
Ce déplacement s’inscrit par ailleurs dans la dynamique impulsée par le président Denis Sassou Nguesso, qui voit dans la coopération décentralisée un multiplicateur d’investissements extérieurs tout en consolidant le maillage administratif national. Plusieurs experts notent qu’en complétant les relations d’État à État, la diplomatie municipale confère aux dossiers techniques – gestion des déchets, réseaux d’eau ou mécanismes de gouvernance territoriale – une visibilité pragmatique souvent absente des grands sommets multilatéraux.
Assainissement : confronter les terroirs à la réalité urbaine
Premier axe de travail, l’assainissement cristallise la convergence d’intérêts des deux parties. Dans la région lyonnaise, la commune de Charly participe au syndicat interdépartemental chargé de l’épuration des eaux du Rhône ; à Brazzaville, le gouvernement affine un Plan directeur d’assainissement visant à réduire de 40 % la pollution organique du fleuve Congo d’ici à 2030, selon le ministère congolais de l’Énergie et de l’Hydraulique. Olivier Araujo a ainsi présenté l’expertise d’entreprises rhônalpines spécialisées dans le curage des réseaux et la valorisation des boues, proposant un transfert de savoir-faire qu’il juge « symétrique », rappelant que « la résilience climatique impose d’innover des deux côtés de l’Équateur ».
Pour le Sénat, ces technologies pointues complètent les réformes juridiques adoptées en 2022 sur la police de l’eau et la fiscalité environnementale. Pierre Ngolo a insisté sur le rôle de la Haute chambre comme « force de propositions » dans ce domaine, citant l’adoption prochaine d’un projet de loi spécifique à la gestion intégrée des déchets solides. À court terme, un groupe de travail mixte pourrait être constitué afin de décliner, quartier par quartier, des protocoles d’entretien des caniveaux inspirés du modèle lyonnais.
Décentralisation congolaise : une mue institutionnelle graduelle
Si la France fait figure de pionnière en matière de décentralisation depuis les lois Defferre de 1982, le Congo, lui, avance par étapes en tenant compte de l’héritage administratif hérité de la période post-coloniale. La révision constitutionnelle de 2015 avait déjà consacré le principe de libre administration des collectivités locales ; la mise en œuvre s’accélère depuis 2020, avec la création de fonds d’appui aux départements et l’introduction progressive de budgets participatifs dans les chefs-lieux. Pierre Ngolo a détaillé, lors de l’entretien, les consultations menées dans les onze départements pour harmoniser les compétences entre État central et entités territoriales, soulignant le souci « d’éviter tout chevauchement de prérogatives ».
L’analyse de terrain confirme l’actualité de ce chantier. Selon l’Observatoire congolais des finances publiques, 32 % des crédits budgétaires sont désormais déconcentrés au niveau départemental, contre 18 % en 2017. Pour Olivier Araujo, cette trajectoire rappelle la « maturité progressive » observée en France, où la répartition des compétences reste évolutive. Le maire de Charly voit dans cette démarche un « levier de cohésion », estimant qu’une plus grande autonomie locale contribue à stabiliser les attentes citoyennes et à rationaliser les investissements.
Partenariat public-privé et transfert d’expertise
L’originalité de la mission lyonnaise réside aussi dans l’intégration de représentants du secteur privé, notamment des sociétés d’ingénierie environnementale et des cabinets de conseil en gouvernance urbaine. Ce format répond à la volonté congolaise d’élargir la palette des acteurs financiers mobilisables, conformément à la loi sur le partenariat public-privé promulguée en 2019. Les discussions ont ainsi évoqué la création de concessions mixtes pour la gestion des stations d’épuration, avec un modèle de tarification incitatif et la garantie d’un retour sur investissement à moyen terme.
Du côté français, l’agence de développement AFD confirme son intérêt pour accompagner de tels montages, à la condition que les projets s’inscrivent dans des cadres réglementaires stabilisés. Le Sénat congolais, garant de la sécurité juridique, s’est engagé à actualiser les textes relatifs à la domanialité publique afin de faciliter la mise à disposition de terrains, étape préalable à tout projet d’infrastructure.
Vers une feuille de route bilatérale consolidée
La séquence brazzavillo-lyonnaise pourrait déboucher sur la signature, d’ici à la fin de l’année, d’un protocole d’entente précisant les axes prioritaires de coopération pour la période 2024-2027. Selon une source diplomatique française, l’assainissement et la décentralisation formeraient le socle, rejoints par la gestion des risques climatiques et le développement de la formation professionnelle des cadres territoriaux.
Au-delà des objectifs techniques, cette feuille de route illustrerait la recherche d’un équilibre entre partenariat Nord-Sud et affirmation de la souveraineté congolaise. Comme l’a résumé Pierre Ngolo, « le partage d’expériences ne saurait être une relation de dépendance, mais l’échange de deux trajectoires nationales qui convergent dans la modernité ». Cette approche répond au souci, exprimé par Brazzaville, de renforcer son attractivité sans renoncer à la maîtrise de ses politiques publiques. L’issue des négociations sera donc scrutée par les chancelleries africaines, qui voient dans la diplomatie des collectivités un laboratoire de solutions aux défis urbains du continent.