Une rencontre à forte teneur géopolitique
La discrète audience accordée par le président du Sénat congolais, Pierre Ngolo, au maire de Charly, Olivier Araujo, a pu paraître modeste au regard de l’agenda international estival. Elle révèle pourtant un moment charnière des relations entre Brazzaville et Paris. L’objet officiel – le partage d’expériences en matière d’assainissement – s’inscrit dans une stratégie plus large où le Congo consolide ses partenariats techniques tout en diversifiant ses leviers diplomatiques. En consacrant l’assainissement comme thème fédérateur, les deux parties choisissent un terrain consensuel, dépourvu de charges politiques sensibles, mais porteur d’une symbolique forte : celle de la ville saine, condition de stabilité sociale et de crédibilité internationale.
Le dilemme sanitaire des capitales africaines
Brazzaville, comme nombre de métropoles d’Afrique centrale, doit composer avec une croissance démographique rapide et un maillage d’infrastructures encore en construction. Les chiffres du ministère de l’Urbanisme font état de besoins annuels dépassant les 130 000 mètres linéaires de réseaux d’eaux usées rien que pour la capitale. À cela s’ajoutent les inondations saisonnières qui fragilisent la voirie et les quartiers périphériques, faisant de la gestion des déchets solides une question de sécurité publique. La priorité accordée par les autorités congolaises à l’assainissement se comprend dans ce contexte : au-delà de l’hygiène, il en va de la résilience économique et de l’attractivité pour les investisseurs internationaux.
Le savoir-faire français : entre ingénierie et diplomatie
La France dispose d’un écosystème de grands groupes – souvent issus du modèle de la délégation de service public – et d’une constellation de PME spécialisées. Stations d’épuration compactes, capteurs connectés pour suivre la qualité de l’eau, filières de valorisation énergétique des boues : autant d’innovations que Charly, petite commune de la métropole lyonnaise, met déjà à l’épreuve sur son propre territoire. Olivier Araujo a insisté sur « l’utilité d’un partage équitable des compétences » (entretien du 31 juillet 2023). La formule laisse entendre que Paris entend désormais privilégier des partenariats horizontaux, et non des schémas d’assistance asymétriques. Pour Brazzaville, l’enjeu est double : bénéficier de cette ingénierie pointue sans compromettre son autonomie stratégique et garantir un transfert de compétences durable à ses agents municipaux.
Décentralisation : un levier de souveraineté locale
La discussion a glissé, de façon naturelle, vers la décentralisation. Le Congo a engagé depuis 2003 un processus visant à doter les collectivités territoriales de budgets propres et de responsabilités accrues. Pierre Ngolo rappelle régulièrement que « la proximité est la première école de la démocratie ». Les communes, désormais détentrices de la compétence eau et assainissement, cherchent des modèles de gouvernance efficients. L’expérience française, marquée par l’intercommunalité, offre un exemple adaptable. Toutefois, les observateurs notent que la dispersion territoriale congolaise – de Pointe-Noire à Ouesso – impose un calibrage prudent des mécanismes financiers afin d’éviter une fracture entre zones urbaines et zones rurales.
Finance verte et transition climatique
L’assainissement est également devenu un vecteur d’accès aux fonds climat. Dans la perspective des prochaines négociations internationales, Brazzaville espère inscrire ses projets dans les mécanismes de financement vert, à l’instar du Fonds pour l’environnement mondial. La France, forte de son expertise en ingénierie financière développementale, pourrait accompagner la structuration de dossiers bancables. Une source diplomatique française rappelle que « chaque euro mobilisé pour l’eau et les déchets permet d’en économiser quatre en dépenses de santé ». L’argument, chiffré et pragmatique, rejoint la feuille de route congolaise de réduction du coût des soins par la prévention environnementale.
Perspectives et garde-fous
Les analystes saluent une coopération « gagnant-gagnant », expression souvent galvaudée mais ici justifiée par une convergence d’intérêts : visibilité internationale pour la France, modernisation rapide pour le Congo. Reste à veiller à la pérennité des installations, chantier fréquemment négligé dans l’histoire des infrastructures sud-sud ou nord-sud. Le Sénat congolais entend inscrire des clauses de suivi longitudinal dans les futurs protocoles, tandis que les élus français militent pour un cofinancement des collectivités partenaires afin d’impliquer la société civile locale. Les premières missions techniques sont attendues à Brazzaville avant la fin de l’année, et un agenda bilatéral devrait être dévoilé lors du Forum Afrique-France de Marseille.
Vers une diplomatie de l’expertise partagée
En faisant de l’assainissement un pivot de coopération, Brazzaville et Paris illustrent une tendance lourde de la diplomatie contemporaine : l’alignement des priorités domestiques et des engagements internationaux. Le gouvernement congolais met en avant un discours de souveraineté pragmatique, privilégiant les partenariats où la circulation des savoirs prime sur la dépendance technologique. La France, de son côté, trouve dans ces projets municipaux un terrain propice à la relance de son influence culturelle et économique en Afrique centrale. Dans une conjoncture régionale marquée par une concurrence accrue, l’échange d’expertise sur l’assainissement pourrait bien devenir, à terme, l’archétype d’une coopération équilibrée et tournée vers les résultats.