Genèse du projet panafricain
La création de la future Africa Energy Bank (AEB) résulte d’un constat partagé par les producteurs africains d’hydrocarbures : l’investissement dans l’énergie se fait encore trop rare sur le continent, malgré des besoins croissants et des ressources abondantes.
Sous l’impulsion conjointe de l’Organisation des producteurs de pétrole africains (APPO) et de la banque Afreximbank, l’institution vise à mobiliser des capitaux panafricains pour combler un déficit d’environ 50 milliards de dollars par an, selon les estimations industrielles.
Un montage financier inédit
Le capital initial de cinq milliards de dollars repose sur une structure à trois niveaux, mêlant États membres de l’APPO, autres pays africains et investisseurs privés. Cette architecture entend répartir le risque et attirer des acteurs jusqu’ici réticents à financer des projets énergétiques.
À ce jour, 44 % des souscriptions minimales sont sécurisées : Nigeria, Angola et Ghana ont déjà libéré leurs parts, tandis que l’Algérie, le Bénin, le Congo, la Guinée équatoriale et la Côte d’Ivoire ont matérialisé leurs promesses, illustrant la dynamique régionale.
Les responsables d’Afreximbank assurent que « la porte reste ouverte aux investisseurs individuels et institutionnels qui souhaitent rejoindre l’actionnariat », un message relayé par le secrétaire général de l’APPO, Omar Farouk Ibrahim, pour qui l’ancrage panafricain constitue « la clé de la souveraineté énergétique ».
Siège, gouvernance et calendrier serré
Au chapitre organisationnel, PwC a été retenu comme consultant principal pour piloter le volet gestion de projet dès début 2025, confirmant la volonté d’inscrire la démarche dans les standards internationaux de gouvernance bancaire, de conformité et de transparence.
Le choix d’Abuja pour accueillir le siège s’explique par l’accessibilité aérienne, l’existence d’un hub pétrolier régional et l’engagement financier de 100 millions de dollars consenti par le gouvernement nigérian, selon un communiqué conjoint publié après la réunion du Conseil exécutif de l’APPO.
Le calendrier reste serré : le projet doit recevoir l’aval définitif des ministres de l’énergie africains au quatrième trimestre 2025 pour une mise en service quelques mois plus tard, une cadence que les promoteurs jugent « réaliste au regard de l’urgence des besoins ».
Un catalyseur pour l’industrie énergétique africaine
Au-delà du financement des gisements pétroliers et gaziers, la nouvelle banque souhaite soutenir les chaînes de valeur locales, du raffinage à la pétrochimie, tout en réservant une part de ses ressources au solaire, à l’hydrogène vert et aux interconnexions électriques régionales.
Selon le cabinet Rystad Energy, chaque milliard investi dans le contenu local pourrait générer jusqu’à 30 000 emplois directs et indirects, un argument mis en avant par APPO pour rappeler que l’équation énergétique du continent ne se limite pas à l’augmentation de la production brute.
Pour les banques commerciales africaines, la création de l’AEB constitue aussi une opportunité de syndication : en entrant au tour de table, elles accéderont à un pipeline de projets plus diversifié, tout en bénéficiant de la garantie politique conférée par une institution multilatérale.
Quels bénéfices pour le Congo et la sous-région
Le Congo-Brazzaville, quatrième producteur subsaharien, table sur l’AEB pour accélérer la mise en valeur de ses champs offshore et financer la modernisation de la raffinerie de Pointe-Noire, selon les services du ministère congolais des Hydrocarbures.
« Notre participation témoigne de notre confiance dans un outil pensé par les Africains pour les Africains », souligne le directeur général de la Société nationale des pétroles du Congo, Maixent Raoul Ominga, qui évoque un effet de levier sur les partenariats locaux.
Dans la sous-région, la Communauté économique des États d’Afrique centrale voit dans la banque une passerelle vers le développement du couloir énergétique transfrontalier, en discussion depuis 2019, reliant les sites gaziers du Cameroun, du Gabon et du Congo.
Les prochains jalons à surveiller
Certains analystes estiment néanmoins que l’institution devra articuler rigueur financière et objectifs de développement pour maintenir sa notation, condition sine qua non à l’émission d’euro-obligations susceptibles d’élargir sa capacité de prêt au-delà des cinq milliards initiaux.
Les observateurs suivront donc de près la signature des statuts, la désignation du premier président de la banque et la composition du conseil d’administration, étapes décisives pour crédibiliser le projet auprès des bailleurs africains et des agences de rating.
Si le calendrier est respecté, les premiers décaissements pourraient intervenir avant la fin 2026, donnant le coup d’envoi à une nouvelle phase de l’intégration énergétique du continent, laquelle devrait soutenir la croissance et l’emploi sur toute la décennie.
Dimension environnementale et transition juste
L’AEB promet d’allouer 30 % de son portefeuille à des projets d’énergies renouvelables, tout en finançant des technologies de capture de carbone pour rendre les champs pétroliers plus propres, une approche que les promoteurs qualifient de « transition juste et pragmatique ».
Les ONG environnementales saluent cet engagement, mais rappellent que la réussite dépendra de critères stricts de reporting carbone ; sur ce point, APPO assure travailler avec la Commission africaine de l’énergie pour adopter un référentiel compatible avec les standards internationaux.
Pour les jeunes diplômés africains, la diversification des projets financés annonce de nouveaux débouchés dans l’ingénierie, la data science ou la maintenance industrielle, des profils que l’Université Marien-Ngouabi à Brazzaville envisage déjà d’intégrer dans ses programmes, selon son recteur Moukoukou.