Le tissu associatif congolais, sentinelle sociale
À l’heure où les indicateurs macroéconomiques saluent la résilience du Congo-Brazzaville face aux chocs exogènes, la question de la cohésion sociale demeure un fil rouge de l’agenda public. Loin des projecteurs, le tissu associatif, en pleine maturation depuis une dizaine d’années, assume une mission de première ligne : amortir les disparités et réactiver les solidarités endogènes. L’Association des jeunes mères du Congo, fondée et présidée par Michaelle Moutouari Tchicamboud, s’inscrit dans ce mouvement ascendant. Sa signature, le « Vivre ensemble », épouse la grammaire consensuelle qui guide les politiques sociales depuis l’adoption du Plan national de développement 2022-2026.
La trajectoire de l’AJMC témoigne d’un repositionnement de la société civile, plus stratégique que contestataire. En dépit d’un financement souvent cyclique, ces organisations préférèrent l’action micro-locale à l’affrontement macro-politique. Cette orientation répond à une réalité : dans un pays dont l’étendue territoriale disperse les besoins, le partenariat associatif apporte une granularité précieuse à l’action publique.
Un repas hebdomadaire, matrice de diplomatie de proximité
Lancé le 30 juillet à Mpaka, dans le 3ᵉ arrondissement TiéTié, le programme « Un repas pour tous » illustre une forme de diplomatie alimentaire. Chaque mercredi, tables et marmites fédèrent les habitants autour d’un plat unique, simple mais symboliquement puissant. Les sociologues décrivent ce genre de dispositif comme un « rituel de pacification soft », forgeant une socialisation horizontale qui échappe aux hiérarchies usuelles. Les mères de famille, premières bénéficiaires, y voient un geste d’empathie ; les jeunes, un espace d’écoute ; les autorités d’arrondissement, un canal de feedback social non conflictuel.
« Nous ne distribuons pas uniquement du riz, nous distribuons de la considération », résume Michaelle Moutouari Tchicamboud. La formule dépeint l’ambition sous-jacente : passer d’un simple secours alimentaire à une fabrique de liens civiques. En cela, l’initiative se démarque des dons ponctuels souvent observés dans la sous-région et s’installe dans la durée, quatre fois par mois, en phase avec les habitudes alimentaires des quartiers populaires.
Convergence avec les objectifs nationaux de solidarité
Si la générosité de proximité reste l’ADN du projet, sa pertinence stratégique tient aussi à la convergence avec les priorités formulées par le gouvernement. Dans son allocution du 15 août dernier, le président Denis Sassou Nguesso rappelait que « la paix sociale se cultive autant par les infrastructures que par l’attention portée aux plus vulnérables ». Le programme de l’AJMC en fournit une déclinaison concrète, dans un contexte marqué par la hausse des prix des denrées importées.
Le ministère des Affaires sociales, tout en encourageant la professionnalisation du secteur associatif, a d’ailleurs salué « une démarche complémentaire à la politique de filets sociaux ». Sur le terrain, cette reconnaissance administrative se traduit par un accès facilité aux marchés publics pour l’achat d’intrants locaux, renforçant par ricochet les circuits courts prônés par l’Initiative présidentielle sur l’agriculture familiale.
Les observateurs soulignent également la dimension de genre du projet. En confiant la gouvernance à des jeunes mères, l’AJMC renforce l’autonomisation féminine, en ligne avec les engagements pris par Brazzaville devant la Commission de l’Union africaine. Le don de matériels agricoles aux femmes de Mouyondzi, opéré en mars, illustre une stratégie d’intégration verticale : nourrir aujourd’hui, produire demain.
Perspectives régionales et regard des partenaires extérieurs
Au-delà de TiéTié, l’expérience attire l’attention de partenaires techniques déjà présents dans le Golfe de Guinée. Un représentant du Programme alimentaire mondial confie en aparté que « l’approche communautaire de l’AJMC pourrait servir de modèle pilote dans d’autres quartiers périphériques de Pointe-Noire ». À l’échelle de la Communauté économique des États de l’Afrique centrale, la circulation de bonnes pratiques est perçue comme un facteur de stabilité micro-régionale.
Les diplomates accrédités à Brazzaville voient dans ces initiatives une illustration de la doctrine congolaise : privilégier la prévention des vulnérabilités internes pour consolider la paix nationale, condition première de la sécurité sous-régionale. Un analyste français basé à Libreville évoque même « une soft-power culinaire » susceptible d’adoucir les perceptions souvent réductrices sur la situation humanitaire au Congo-Brazzaville.
À court terme, l’AJMC envisage un module de formation pour étudiants, gage d’élargissement thématique. À moyen terme, la question du financement pérenne se pose. Des négociations seraient ouvertes avec des fondations africaines et des mécènes de la diaspora. La présidente, prudente, rappelle toutefois que « la meilleure garantie reste l’appropriation communautaire ». La remarque souligne un principe cardinal : la solidarité ne se délègue pas, elle s’organise.