Un partenariat financier loin d’être anodin
La décision du conseil d’administration de la Banque africaine de développement (AfDB) d’ouvrir une ligne de plus de 300 millions d’euros au Maroc survient dans un contexte où le Royaume revendique une trajectoire de croissance supérieure à la moyenne régionale. L’institution panafricaine, premier bailleur multilatéral du continent, rappelle que cet appui s’inscrit dans une relation de longue haleine : près de 15 milliards d’euros ont déjà été décaissés en cinquante ans pour plus de 150 projets, allant des infrastructures lourdes à la protection sociale. Si le chiffre impressionne, la nouvelle enveloppe se distingue par sa double orientation – compétitivité économique et résilience climatique – qui épouse les priorités stratégiques de Rabat.
Le timing n’est pas innocent. Alors que les chaînes de valeur mondiales se redessinent à la faveur des tensions géopolitiques et de la transition énergétique, le Maroc entend capitaliser sur sa stabilité macroéconomique pour attirer davantage d’investissements directs étrangers. En sécurisant un financement concessionnel, le pays envoie un signal de confiance aux marchés, tout en se dotant de marges de manœuvre budgétaires pour poursuivre son agenda réformiste.
Compétitivité économique sous le sceau de la gouvernance
Sur les plus de 300 millions d’euros, 181,8 millions irriguent la seconde phase d’un programme de consolidation de la gouvernance économique. Derrière cette dénomination se cache une batterie de mesures visant à affiner la réglementation de l’investissement privé, à simplifier l’accès au foncier industriel et à digitaliser les services publics. Les autorités marocaines insistent sur la nécessité d’aligner l’environnement des affaires sur les standards de l’Organisation mondiale du commerce, tout en préservant l’agilité qui a fait la réputation des zones franches de Tanger et de Kénitra. Pour la BAD, la compétitivité n’est plus seulement affaire de coûts, mais de qualité institutionnelle, de transparence et de prévisibilité.
En renforçant les mécanismes de suivi budgétaire et l’évaluation des politiques publiques, Rabat espère minimiser l’impact des chocs exogènes, tels que l’envolée des cours de l’énergie ou les tensions logistiques post-pandémie. Cette résilience budgétaire est devenue incontournable depuis la crise sanitaire de 2020, qui a rappelé la vulnérabilité des économies ouvertes à la contraction de la demande européenne, premier partenaire commercial du Maroc.
Résilience climatique et réforme des secteurs eau-énergie
Dans une région régulièrement exposée aux sécheresses, la gestion de l’eau constitue un axe cardinal de la coopération avec la BAD. Le nouveau prêt prévoit la modernisation des réseaux d’irrigation et l’extension des infrastructures de dessalement, afin de réduire la pression sur les nappes phréatiques. S’y ajoute la rationalisation des subventions énergétiques, en phase avec l’objectif de neutralité carbone à l’horizon 2050 annoncé par Rabat lors de la COP 22. Les financements permettront d’accélérer l’intégration des énergies renouvelables, déjà fortes de méga-projets solaires à Ouarzazate et éoliens à Tarfaya.
Pour la banque panafricaine, le pari est clair : chaque dirham investi dans l’adaptation se traduit par des gains de productivité agricole et par une réduction du risque climatique qui pèse sur la dette souveraine. Le Maroc, premier émetteur d’obligations vertes du continent, pourra ainsi diversifier encore son accès aux marchés financiers internationaux en se présentant comme une juridiction compatible avec les standards ESG.
Entrepreneuriat inclusif, nouvel horizon social
Les 119 millions d’euros restants ciblent l’entrepreneuriat inclusif, avec un accent particulier sur les très petites et moyennes entreprises. Le spectre d’intervention va de la garantie de prêts bancaires à la mise en place de formations certifiantes pour les porteurs de projets. Les autorités marocaines soulignent que 30 % des fonds iront aux initiatives dirigées par des femmes, tandis que les incubateurs adossés aux universités capteront une part significative de l’appui technique. En misant sur la jeunesse, Rabat veut tordre le cou à un chômage urbain qui frôle encore la barre symbolique des 15 %.
Cette dimension humaine n’est pas anodine : elle répond à la quête d’un modèle de croissance plus inclusif, capable de générer une classe moyenne robuste et d’éviter les tensions sociales observées ailleurs dans la région. L’AfDB, qui pilote l’initiative Jobs for Youth in Africa, voit dans le Maroc un laboratoire de bonnes pratiques, susceptible d’inspirer d’autres pays membres, dont la République du Congo, également engagée dans des programmes d’entrepreneuriat vert.
Une dynamique régionale appelée à faire école
Au-delà des frontières marocaines, l’opération réaffirme le rôle de la BAD comme catalyseur de la relance post-Covid en Afrique. En combinant compétitivité, transition énergétique et inclusion sociale, l’institution esquisse une feuille de route compatible avec l’Agenda 2063 de l’Union africaine. La synergie entre bailleurs multilatéraux et gouvernements, illustrée par le cas marocain, jette les bases d’une coopération Sud-Sud où l’expertise circulera de manière plus fluide.
Rabat, de son côté, engrange un succès diplomatique qui conforte sa stature de hub financier africain. Les guichets de la Banque africaine de développement ne se ferment pas une fois les lettres de crédit signées : un dialogue stratégique s’installe sur la durée, assorti d’évaluations annuelles. Dans un monde où la crédibilité se mesure à l’aune des réformes effectivement menées, la balle est désormais dans le camp des décideurs marocains, bien décidés à transformer l’essai.