Un chantier diplomatique sous parrainage américain
Lorsque le département d’État a confirmé, en avril, l’accueil d’un format trilatéral RDC-Rwanda-États-Unis, nombre d’observateurs y ont vu le signe d’un basculement de la médiation vers Washington après la multiplication d’initiatives africaines restées sans lendemain. En coulisses, l’envoyé spécial américain pour les Grands Lacs a multiplié les navettes entre Goma, Kigali et Kinshasa, capitalisant sur l’essoufflement militaire du Mouvement du 23 mars (M23) et l’épuisement budgétaire des deux protagonistes. Selon un diplomate rwandais, « les lignes ont bougé quand Washington a assorti son offre de garanties économiques ». Consciente du coût politique d’un tête-à-tête, la Maison-Blanche a orchestré la mise en scène d’une signature à deux temps : d’abord un accord-cadre au Département d’État, puis, fin juillet, une photo attendue avec les présidents Félix Tshisekedi et Paul Kagame dans le Bureau ovale.
Les clauses sécuritaires : désarmement progressif et forces régionales
Au cœur du texte figure un calendrier de cantonnement des rebelles du M23, étalé sur quatre phases de six semaines, sous la supervision conjointe de la MONUSCO et de l’East African Regional Force. Kigali s’engage, pour sa part, à retirer l’ensemble de ses éléments identifiés à l’intérieur de la province du Nord-Kivu, tandis que Kinshasa accepte la création d’une zone tampon de vingt kilomètres de profondeur afin de réduire les frictions frontalières. Les services de renseignement des deux capitales se verront dotés d’un mécanisme d’échange de données, inspiré du modèle turco-arménien de 2022, supposé prévenir la réédition de tirs croisés attribués « par erreur ». Un diplomate onusien évoque « une architecture ambitieuse mais extrêmement dépendante du financement et de la discipline des chaînes de commandement ». De fait, l’accord prévoit la possibilité pour Washington de suspendre son aide militaire au moindre manquement, une clause que Kigali qualifie déjà de « déséquilibrée ».
Une équation humanitaire et minière indissociable
Les signataires ont acté qu’aucune paix durable ne saurait se concevoir sans réponse à la crise humanitaire. Plus de 5,5 millions de déplacés internes campent aujourd’hui entre Rutshuru et Masisi, selon le HCR. L’accord institue un fonds spécial de relèvement rapide alimenté à 40 % par l’Agence américaine pour le développement international et à 60 % par une contribution mixte rwandaise et congolaise, indexée sur les revenus miniers. Cette disposition révèle la toile de fond économique du conflit : l’accès au coltan, à la cassitérite et au tantalum, dont la chaîne d’approvisionnement alimente l’industrie mondiale des semi-conducteurs. Kinshasa obtient la certification du système iTSCi sur l’ensemble des sites stratégiques, tandis que Kigali conserve un droit préférentiel de raffinage dans sa zone franche de Bugesera. Un économiste congolais résume : « Les armes se taisent parce que les calculs s’accordent ; si les royalties dérapent, le bruit reprendra ».
Les attentes politiques : légitimité interne et pression externe
Pour Félix Tshisekedi, en campagne officieuse pour la présidentielle de décembre, obtenir un accord tangible avant l’été constitue un pari domestique. Sa base électorale dans le Katanga l’exhorte à ramener la paix dans le Kivu, sous peine de voir les partis d’opposition capitaliser sur l’insécurité. Paul Kagame, lui, affronte des critiques croissantes au sein du Front patriotique rwandais, lassé du coût financier et diplomatique d’un statu quo militarisé. Les sanctions individuelles brandies par l’Union européenne, gelées depuis janvier, pourraient être réactivées si Kigali manquait à ses engagements. Dans ce contexte, Washington exerce une double pression : offrir un succès de politique étrangère au président américain tout en rappelant que l’African Growth and Opportunity Act, si précieux pour le textile rwandais, n’est pas gravé dans le marbre.
Regards d’experts : entre avancées et risques de rechute
Les analystes du Réseau pour la réforme du secteur de sécurité saluent un « réel saut qualitatif » par rapport à la feuille de route de Luanda, restée lettre morte faute de garanties exécutoires. Néanmoins, l’International Crisis Group pointe la faiblesse du volet justice transitionnelle, aucune disposition n’exigeant la comparution des officiers soupçonnés de crimes de guerre. Sur le terrain, la société civile congolaise affirme ne pas avoir été consultée, redoutant que le retour des déplacés ne soit bâclé pour répondre aux impératifs du calendrier diplomatique. « La vraie mesure du succès ne sera pas la poignée de main à Washington, mais la possibilité pour un agriculteur de récolter à Kibumba sans escorte militaire », prévient une chercheuse de l’Université de Goma. Les diplomates américains, conscients du précédent sud-soudanais, ont prévu une mission d’évaluation tous les quatre-vingt-dix jours. Reste à savoir si cette vigilance suffira à contenir les forces centrifuges d’une région où la paix demeure, plus que jamais, un processus plutôt qu’un état.