Un signal diplomatique fort venu d’Amérique centrale
Les déclarations du ministre guatémaltèque des Affaires étrangères, Carlos Ramiro Martínez Alvarado, à Rabat ont résonné comme un manifeste de realpolitik latino-africaine. Pour la première fois depuis l’ouverture du Consulat général guatémaltèque à Dakhla en 2022, la diplomatie d’Amérique centrale érige publiquement l’initiative marocaine d’autonomie en « seul cadre sérieux, crédible et réaliste » pour clore un conflit saharien considéré comme artificiel par nombre d’observateurs. L’argumentaire, centré sur la souveraineté et l’intégrité territoriale, épouse la lecture défendue de longue date par Rabat tout en renvoyant à l’expérience historique du Guatemala, dont les frontières ont souvent été questionnées au XIXᵉ siècle. Au-delà de la posture, c’est l’autorité morale d’un État latino-américain, attaché à la Charte de l’ONU depuis 1945, qui vient conforter la solution prônée par le Royaume.
Le paramètre de l’autonomie saharienne dans la jurisprudence onusienne
Depuis 2007, le Secrétariat des Nations unies qualifie l’offre marocaine d’autonomie de « sérieuse et crédible ». En la présentant comme « réaliste », le Guatemala renforce la terminologie onusienne tout en infléchissant la sémantique traditionnelle du Mouvement des non-alignés, historiquement sensible aux revendications séparatistes. Le positionnement guatémaltèque s’inscrit dans la lignée d’États latino-américains ayant récemment revu leur grille de lecture, du Panama au Suriname. Loin de rompre avec le droit international, cette ligne de crête mise sur la subsidiarité : une autonomie interne forte, placée sous souveraineté marocaine, serait davantage à même de garantir stabilité et développement que le maintien du statu quo. En d’autres termes, le réalisme l’emporte sur l’idéalisme, sans pour autant escamoter la dimension multilatérale puisque le Conseil de sécurité demeure l’arbitre final.
Convergences stratégiques Rabat–Guatemala : souveraineté et développement
Au cœur de la conférence de presse conjointe, Rabat et Guatemala-City ont dressé un parallèle entre leurs priorités nationales : sécurisation des frontières, lutte contre la criminalité transnationale et diversification économique. Sur la question migratoire, les deux capitales partagent un lexique commun, inspiré du Pacte de Marrakech : mobilité humaine structurée, coopérations trilatérales, protection des diasporas. Cette affinité se double d’un prisme sécuritaire : les flux irréguliers créent des couloirs de vulnérabilité exploitables par les réseaux criminels. En se posant en partenaires, les deux États envoient un message aux bailleurs multilatéraux : la stabilité passe par des solutions ancrées dans le Sud, avec un soutien financier plutôt qu’une tutelle normative.
Une feuille de route 2025-2027 pour matérialiser les ambitions
La signature d’une feuille de route triennale ainsi que d’un Mémorandum d’entente entre l’Institut marocain des études diplomatiques et l’Académie guatémaltèque marque une volonté de traduire le discours en projets. Les deux pays misent sur la formation croisée de diplomates, la montée en gamme des chaînes de valeur agricoles et la production d’hydrogène vert. L’objectif est double : exporter un savoir-faire en matière de dessalement et de gestion de l’eau vers l’isthme centraméricain, et attirer des capitaux guatémaltèques dans le hub énergétique de Dakhla. Ici, la question saharienne se métamorphose en opportunité : transformer une zone naguère perçue comme périphérique en plateforme de coopération transatlantique.
Implications régionales et lecture Sud-Sud du multilatéralisme
Cet alignement inédit rebat des cartes longtemps polarisées sur l’Atlantique. Il conforte aussi la stratégie africaine du Maroc, laquelle se nourrit d’alliances hors continent pour peser dans les enceintes multilatérales. Pour le Guatemala, l’enjeu est de diversifier un portefeuille diplomatique trop centré sur Washington. En démontrant sa capacité à dialoguer avec une puissance africaine, l’État d’Amérique centrale renforce son rôle au sein du Système d’intégration centraméricain. À terme, l’on pourrait voir émerger des positions concertées entre Rabat, Guatemala-City et des capitales caribéennes sur des dossiers comme la gouvernance des océans ou la réforme du Conseil de sécurité.
Vers une architecture décarbonée des partenariats
Au-delà du dossier saharien, les deux gouvernements affichent une convergence sur la décarbonation industrielle. Le Maroc, pionnier du solaire, entend proposer des corridors logistiques bas carbone à même de relier Tanger Med et les ports d’Amérique centrale. Le Guatemala, riche en biomasse et en géothermie, aspire à exporter de l’électricité verte et à réduire sa dépendance aux importations d’hydrocarbures. Ces complémentarités illustrent une diplomatie fonctionnelle articulée autour d’objectifs concrets plutôt qu’un simple échange de soutiens rhétoriques. Dans un monde fragmenté, l’entente Rabat–Guatemala esquisse les contours d’une nouvelle géographie de la confiance, où la capacité à produire et à transporter une énergie propre devient la matrice des alliances.
Regards prospectifs sur l’équation saharienne
L’appui guatémaltèque, premier du genre en Amérique centrale à s’exprimer sous une forme aussi catégorique, crée une jurisprudence diplomatique qui pourrait inspirer d’autres capitales hispanophones. Si le Conseil de sécurité devait relancer un processus politique substantiel, l’écho latino-américain pèserait sur le calcul des parties prenantes. Pour Rabat, le gain est double : conforter sa lecture de l’autonomie comme solution finale et asseoir la légitimité de ses projets de développement dans les provinces du Sud. Pour le Guatemala, l’enjeu est de prouver que la voix du Sud, lorsqu’elle se fait cohérente, peut influer sur la résolution de différends de longue date. Dans cet entrelacs de volcans et de dunes, la diplomatie n’est plus affaire de distance mais de convergence d’intérêts, et l’autonomie saharienne se révèle le creuset d’une solidarité géopolitique en mutation.