Valse diplomatique dans les salons du Ballhausplatz
En recevant la délégation congolaise dans l’austère décor baroque de son ministère, Beate Meinl-Reisinger a surtout voulu manifester que Vienne n’entend plus se cantonner au rôle discret de capitale onusienne. L’échange, présenté comme une simple revue d’étape bilatérale, a rapidement pris les accents d’une chorégraphie stratégique où chaque pas visait à tester la réactivité de l’autre partie. Le Congo, représenté par les ministres Jean-Marc Thystère-Tchicaya et Rosalie Matondo, a ouvert le bal en réitérant son intention d’établir une ambassade permanente en Autriche, s’appuyant sur le décret présidentiel l’autorisant à investir un lieu diplomatique au cœur de la ville des organisations internationales. Côté autrichien, le signal est accueilli avec autant d’enthousiasme protocolaire que de calcul géopolitique : un nouveau poste africain promet un surcroît de visibilité au sein du Groupe des États d’Afrique au sein de l’ONU, où Vienne pêche encore par déficit de relais.
Un appétit autrichien pour les zones économiques congolaises
À l’ombre des dorures impériales, la diplomatie économique a vite supplanté les amabilités. Karl Ernst Kirchmayer, intermédiaire d’affaires bien connu sur la place de Vienne, a détaillé aux ministres congolais les attentes d’un patronat autrichien soucieux de sécuriser de nouvelles sources de croissance hors Union européenne. Le Congo met en avant sa Zone économique spéciale d’Oyo-Brazzaville, ambitionnant d’en faire un hub de transformation sous-régionale. « Nous offrons une fenêtre fiscale et logistique unique en Afrique centrale », a insisté Jean-Marc Thystère-Tchicaya, rappelant que la diversification économique reste l’un des piliers du Plan national de développement 2022-2026 (Gouvernement de la République du Congo, 2023). Du côté autrichien, la prudence reste de mise : les investisseurs réclament des garanties juridiques, un accès fiable à l’énergie et une feuille de route claire pour la rapatriation des dividendes. Néanmoins, le volume restreint mais agile des PME autrichiennes pourrait s’accommoder d’une implantation progressive, à l’inverse des méga-projets souvent privilégiés par les partenaires asiatiques.
La carte verte de la forêt, du Danube à l’Ogooué
Le portefeuille de la ministre Rosalie Matondo, dédié à l’Économie forestière, a suscité un intérêt particulier. L’Autriche, dont 47 % du territoire est couvert de forêts et où la filière bois pèse 4 % du PIB (Statistik Austria, 2022), voit dans le massif forestier du bassin du Congo un laboratoire idéal pour exporter son expertise en gestion durable. Le Congo, conscient de la nécessité de concilier lutte contre la déforestation et impératifs de développement, propose un schéma de concession réversible assorti d’objectifs de certification FSC. « Nous recherchons des partenaires capables d’adosser la valeur écologique à une valeur économique tangible », a rappelé Rosalie Matondo. Vienne salue l’alignement avec le Pacte vert européen et y décèle une opportunité de diplomatie climatique susceptible d’améliorer son image au sein du groupe des pays donateurs.
Une ambassade comme poste avancé multilatéral
L’ouverture annoncée d’une chancellerie congolaise à Vienne dépasse la simple logique bilatérale. Installée à proximité de l’Agence internationale de l’énergie atomique et de l’ONUDI, la future mission permanente offrirait à Brazzaville une exposition directe aux décisions normatives mondiales. « Le Congo veut peser dans la gouvernance globale, notamment sur les dossiers énergie et climat », confie un diplomate proche du dossier. Pour l’Autriche, cet ancrage africain supplémentaire constitue un levier discret mais efficace pour tisser des coalitions thématiques, à l’heure où la compétition pour les voix des pays du Sud au sein des agences onusiennes s’intensifie.
Vote contre vote : le troc feutré des soutiens
Au-delà des projets d’affaires, le cœur de l’entretien résidait dans l’échange de soutiens politiques. La lettre du président Denis Sassou N’Guesso plaidant pour la candidature de Firmin Édouard Matoko à la direction générale d’une grande organisation internationale a été remise en mains propres à la chef de la diplomatie autrichienne. Vienne, qui nourrit l’espoir de décrocher un siège non permanent au Conseil de sécurité pour la période 2027-2028, a laissé entendre qu’une réciprocité serait la bienvenue. Cette diplomatie du carnet de votes, habituelle dans les couloirs onusiens, illustre la permanence d’une realpolitik assumée, loin des envolées moralisatrices qui dominent parfois les déclarations publiques.
Le réalisme d’un partenariat à construire
Au terme de l’entrevue, les deux parties ont esquissé un calendrier de suivi mêlant visites techniques et forums d’affaires. Si l’enthousiasme affiché masque encore de nombreuses inconnues – crédibilité des garanties congolaises, résilience budgétaire autrichienne et volatilité du marché du carbone –, l’intérêt mutuel apparaît suffisamment solide pour survivre aux aléas conjoncturels. Dans une Europe marquée par la raréfaction des débouchés industriels et un Congo qui cherche à se défaire de la dépendance pétrolière, l’alliance offre aux deux capitales l’opportunité de réinventer leur place respective sur l’échiquier multilatéral. Reste à savoir si la valse viennoise débouchera sur un partenariat symphonique ou se limitera à un pas de deux diplomatique.