Au cœur d’Yamoussoukro, le coup d’envoi diplomatique
Mardi 29 juillet 2025, l’amphithéâtre de la Fondation Félix Houphouët-Boigny vibrait d’une ferveur peu commune. Sous les lambris de Yamoussoukro, la Confédération africaine des associations et clubs de l’UNESCO (CAcu) a solennellement lancé sa campagne citoyenne internationale en faveur de Firmin Édouard Matoko, candidat de la République du Congo au poste de directeur général de l’Organisation des Nations unies pour l’éducation, la science et la culture. À deux mois d’un scrutin déterminant pour la gouvernance mondiale, le chronomètre diplomatique s’est soudainement accéléré.
Le président de la CAcu, Allogmom Gabin, n’a pas hésité à dramatiser l’instant : « Dans soixante jours, l’UNESCO changera de visage ; il serait dommage que l’Afrique manque un rendez-vous qu’elle attend depuis un demi-siècle », a-t-il déclaré devant une assemblée mêlant diplomates, universitaires et représentants de la société civile (Agence ivoirienne de presse).
Une diplomatie culturelle sous les projecteurs
Pour Brazzaville, la candidature de M. Matoko s’inscrit dans une stratégie de rayonnement soigneusement calibrée. Depuis plusieurs années, la République du Congo privilégie le registre du soft power culturel pour compléter une diplomatie sécuritaire déjà sollicitée dans les mécanismes de paix de la région. L’UNESCO, avec son mandat éducatif et patrimonial, offre une scène idéale pour traduire cette ambition en influence concrète.
Le gouvernement congolais, sans verser dans l’autosatisfaction, met en avant la cohérence entre cette candidature et son Agenda 2025 de diversification économique, où la culture et l’économie créative sont placées comme vecteurs de croissance inclusive. Dans les couloirs feutrés de la Mission permanente congolaise à Paris, on rappelle volontiers le rôle de l’État dans la réhabilitation de sites classés, tel que le spectaculaire corridor des gorilles dans le Nord, symbole d’un compromis possible entre conservation et développement.
Le profil de Firmin Édouard Matoko, atout congolais
Ancien sous-directeur général de l’UNESCO chargé de la Priorité Afrique et des relations extérieures, Firmin Édouard Matoko incarne un mélange rare d’expérience institutionnelle et de connaissance de terrain. Sa carrière, entamée comme enseignant de lettres à Pointe-Noire avant de rejoindre la diplomatie culturelle congolaise, l’a mené des sièges onusiens de New York à Addis-Abeba. On lui attribue notamment la paternité de la plateforme « Revitaliser l’alphabétisation communautaire » déployée dans dix-sept pays du Sahel.
Dans les cercles diplomatiques, on souligne son art du compromis. « Il sait poser une voix claire sans heurter », confie une déléguée latino-américaine, rappelant qu’il fut l’un des rares hauts fonctionnaires africains à piloter simultanément deux secteurs stratégiques—communication et sciences sociales—durant la crise budgétaire de 2018.
L’enjeu d’une voix africaine au sommet de l’UNESCO
Le dernier Africain à avoir dirigé l’UNESCO fut, en 1974, le Sénégalais Amadou-Mahtar M’Bow. Depuis, le continent plaide pour une représentation qui reflète son poids démographique et patrimonial. Pour la CAcu, il s’agit moins d’obtenir un siège honorifique que de corriger un déséquilibre structurel dans la répartition des ressources et des programmes.
La pandémie, les fractures numériques et le retrait temporaire de certains grands bailleurs ont exacerbé l’importance de la solidarité Sud-Sud. Dans ce contexte, la perspective d’un directeur général africain apparaît comme un levier pour consolider la coopération technique, en particulier autour des industries culturelles, des biopôles et de l’intelligence artificielle éthique, dossiers sur lesquels l’Afrique souhaite faire entendre une voix originale.
Mobilisation continentale et équations géopolitiques
La tournée de la CAcu doit parcourir douze capitales, de Dakar à Pretoria, avant l’échéance d’octobre. Chaque étape vise à convaincre non seulement les chancelleries africaines, mais aussi les partenaires européens, latino-américains et asiatiques susceptibles d’influer sur le vote du Conseil exécutif. Le soutien du président ivoirien Alassane Dramane Ouattara, annoncé publiquement, ouvre la voie à un alignement de la CEDEAO. Restera à obtenir celui de la Communauté d’Afrique de l’Est, traditionnellement attentive aux équilibres linguistiques entre francophonie et anglophonie.
Le facteur décisif pourrait résider dans la capacité congolaise à rassurer les contributeurs majeurs, Japon et Allemagne en tête, sur la continuité des réformes budgétaires. À Paris, certains observateurs rappellent que l’UNESCO, malgré son aura normative, demeure tributaire d’une ingénierie financière délicate. « Obtenir l’appui des bailleurs sans froisser les attentes du Sud est un exercice d’équilibrisme », analyse une source proche du groupe Afrique.
Entre soft power et continuité institutionnelle
Quel que soit l’issue du scrutin, la campagne orchestrée par la CAcu aura déjà repositionné l’Afrique au centre du débat sur la gouvernance culturelle globale. En pariant sur un diplomate chevronné, Brazzaville affirme sa volonté de conjuguer visibilité nationale et engagement multilatéral, sans jamais rompre avec l’esprit de consensus qui caractérise l’UNESCO.
Le pari n’est pas sans risque ; il requiert un alignement précis d’intérêts parfois divergents. Mais si le continent parvient à faire bloc autour de la candidature Matoko, il pourrait non seulement franchir un plafond symbolique vieux de cinquante ans, mais aussi consolider une dynamique de soft power constructive, fidèle à l’idéal de dialogue des cultures que l’organisation promeut depuis 1945.