Diplomatie concertée autour d’une candidature africaine
Dans la grande chorégraphie des échéances multilatérales, la course à la direction générale de l’Unesco s’apparente cette année à un test de cohésion pour les capitales africaines. Brazzaville, qui aligne Firmin Édouard Matoko, ancien Sous-directeur général de l’Organisation, a décidé de ne rien laisser au hasard. Sous l’égide du chef de l’État Denis Sassou Nguesso, le ministre des Affaires étrangères, Jean-Claude Gakosso, orchestre depuis le 21 juillet un périple diplomatique destiné à draper la candidature d’un vernis continental, gage de crédibilité et de poids électoral.
Le pari est double : hisser un Africain à la tête d’une agence onusienne de premier plan, tout en démontrant la capacité d’initiative d’un Congo-Brazzaville que certains observateurs réduisent trop souvent à un rôle régional. « Nous voulons faire la preuve qu’en matière de soft power, l’Afrique peut parler d’une voix sûre et audible », glisse un conseiller du ministère, convaincu que l’argument de l’expertise francophone de Matoko trouve un écho particulier auprès des pays lusophones et anglophones, soucieux d’équilibre linguistique.
L’Afrique australe comme laboratoire de consensus
L’entrée en scène s’est opérée à Luanda avant de se poursuivre à Windhoek, Gaborone puis Maputo, un arc qui, à lui seul, concentre la moitié des ressources minières du continent. En choisissant cette portion d’Afrique australe, Brazzaville a misé sur un terrain diplomatique exigeant, mais potentiellement décisif. Les autorités angolaises ont affiché un soutien qualifié de « constructif », tandis qu’en Namibie, les discussions ont porté sur la compatibilité des priorités de développement durable de l’Unesco avec les impératifs de relance économique post-pandémie.
À chaque étape, Jean-Claude Gakosso a livré un message signé de la main même du président Sassou Nguesso, démarche rarement observée à ce stade d’une campagne onusienne. L’enjeu dépasse le simple jeu d’alliances bilatérales : obtenir, au sein de l’Union africaine, un consensus minimal capable de résister aux traditionnelles pressions croisées de partenaires extra-continentaux.
L’étape mauricienne, symbole d’unité insulaire-continentale
Le 25 juillet à Port-Louis, ultime escale de la séquence australe, a consacré la portée symbolique de la démarche congolaise. L’accueil réservé par le président Dhananjay Ramful a illustré la volonté de l’Île Maurice de s’inscrire dans une logique de « pont diplomatique » entre Afrique et espace indo-océanique. Selon un diplomate mauricien, « la candidature Matoko incarne une convergence Sud-Sud bénéfique ».
Au-delà de la courtoisie protocolaire, l’escale a permis d’affiner l’argumentaire sur la protection des patrimoines culturels insulaires, dossier sensible pour les États de l’Océan Indien qui redoutent l’érosion de leurs sites côtiers face au changement climatique. La voix de Port-Louis au conseil exécutif de l’Unesco, bien que modeste en nombre de voix, pèse stratégiquement dans l’équilibre des blocs de négociation.
Relais politiques et timing stratégique de Brazzaville
Dès le 27 juillet, la relève sera assurée par le Premier ministre Anatole Collinet Makosso. D’Abidjan à Abuja en passant par Libreville, Ouagadougou, Monrovia ou Djibouti, le chef du gouvernement entend capitaliser sur la dynamique australe pour élargir la coalition. Le dispositif repose sur un calendrier resserré : engranger le maximum d’engagements avant la prochaine session du conseil exécutif, afin de crédibiliser la candidature auprès des partenaires européens et asiatiques qui attendent, comme à leur habitude, de mesurer la solidité du front africain avant de se prononcer.
Cette méthode itérative, mêlant offensive ministérielle et suivi de haut niveau, traduit une lecture fine des rapports de force multilatéraux. Elle rappelle la campagne victorieuse du Nigérian Akinwumi Adesina à la Banque africaine de développement, où la multiplication des relais régionaux avait fait la différence. Pour le Congo, l’objectif implicite est également d’inscrire son action diplomatique dans la durée, en montrant une capacité d’entraînement au-delà des frontières de la CEEAC.
Perspectives continentales et portée multilatérale
À terme, la candidature Matoko cristallise des attentes qui dépassent la seule représentation africaine. Elle porte la promesse d’une gouvernance davantage attentive aux besoins éducatifs, scientifiques et culturels des pays à revenu intermédiaire, tout en renforçant l’influence francophone au sein d’une institution parfois dominée par l’axe hispanophone-anglophone. Les capitales africaines y voient l’opportunité de faire prévaloir des dossiers structurants, de la restitution des biens culturels à l’enseignement numérique inclusif.
Si nul ne peut encore présager de l’issue du scrutin, la campagne menée par Brazzaville révèle déjà une mue diplomatique : celle d’un Congo qui, sans renier ses alliances traditionnelles, revendique une posture d’entraîneur continental. Dans un contexte géopolitique où les organisations internationales redeviennent des champs de compétition symbolique, cette stratégie, soigneusement calibrée, confirme que la scène multilatérale demeure l’un des théâtres privilégiés de l’influence douce congolaise.