Le pari africain au cœur d’une institution en mutation
Dans la salle IX de la Maison de l’Unesco, le 23 juin, la plénière du groupe Afrique s’est transformée en laboratoire de prospective diplomatique. Face à des ambassadeurs manifestement inquiets, Edouard Matoko, seul Africain en lice pour succéder à Audrey Azoulay, a d’emblée reconnu que « le multilatéralisme traverse une phase de contraction budgétaire inédite ». Loin de se limiter à un exercice d’auto-promotion, il a choisi de placer le continent africain au centre d’une réflexion globale sur la gouvernance de l’organisation, estimant que la robustesse des programmes dépendra d’une redéfinition de leurs bénéficiaires autant que de leurs financeurs.
Des budgets sous pression et l’inévitable question de la réforme
Depuis la suspension de la contribution des États-Unis en 2011, les creux de trésorerie rythment la vie de l’Unesco. Le contexte macroéconomique post-pandémie, aggravé par la guerre en Ukraine et la volatilité des devises, annonce de nouvelles coupes. « Nous devons changer », martelait António Guterres le 20 juin à New York, appel repris presque mot pour mot par Matoko. L’aspirant directeur général parie sur une discipline de gestion inspirée des meilleurs standards privés, alliée à une transparence accrue vis-à-vis des États membres. Selon lui, la résilience financière passera par la fusion de certains programmes redondants et par une hiérarchisation stricte autour de trois axes : éducation, sciences et culture, toutes dédiées en priorité à la jeunesse.
Une politisation dénoncée mais assumée comme levier d’influence
Matoko n’élude pas la critique récurrente d’une Unesco trop politisée. À ses yeux, l’institution « ne peut pas feindre la neutralité absolue dans un environnement où le savoir est un instrument de puissance ». Il affirme toutefois que la politisation doit être canalisée vers la défense de biens publics mondiaux, plutôt qu’absorber l’énergie des États dans des votes clivants sur le Proche-Orient. Sa méthode : replacer le secrétariat au centre du jeu, conférer aux bureaux régionaux une marge opérationnelle accrue et instituer un examen annuel des décisions les plus sensibles pour éviter l’enlisement diplomatique.
Patrimoine, IA et biodiversité : les nouvelles frontières programmatiques
S’appuyant sur ses quinze années à la tête du Secteur des priorités globales Afrique, le diplomate congolais estime que la pertinence future de l’Unesco se jouera dans la combinaison de thèmes classiques et de secteurs émergents. Il cite la restitution des biens culturels – dossier catalysé par les initiatives franco-béninoise et germano-nigériane –, la protection des écosystèmes marins, ainsi que la gouvernance éthique de l’intelligence artificielle. « Le continent détient 30 % des minéraux critiques pour le numérique ; il serait paradoxal qu’il soit absent de la régulation de l’IA », note-t-il devant les délégués.
Financer l’audace : diplomatie des donateurs et mécanismes innovants
Conscient que l’appel à la solidarité multilatérale trouve vite ses limites, Matoko propose de courtiser les fonds souverains africains et les fondations patrimoniales du Golfe pour abonder un « Fonds priorité Afrique » piloté par l’Unesco. Les dix économies africaines dont la croissance excède actuellement 6 % pourraient, estime-t-il, consacrer une fraction de leurs recettes d’exportation au financement de projets éducatifs et culturels. Le candidat imagine aussi des accords de conversions de dette en investissements sociaux, inspirés des swaps climatiques testés en Amérique latine, afin de transformer le passif financier en actif patrimonial.
Vers une diplomatie organisationnelle plus agile
Matoko confesse que la bureaucratie onusienne reste « atrophiée par ses propres procédures ». Il envisage de déléguer davantage de responsabilités aux antennes nationales, de recourir plus systématiquement à des recrutements locaux pour réduire les coûts de mobilité et d’élargir l’usage des outils numériques dans le suivi des projets. Au-delà de la rationalisation, il s’agit pour lui de restaurer la crédibilité d’une agence souvent perçue comme éloignée du terrain. « Nous devons prouver que chaque dollar dépensé produit un impact mesurable », répète-t-il, alignant ainsi son propos sur la culture du résultat exigée par plusieurs bailleurs.
Le laboratoire africain d’un multilatéralisme réinventé
L’idée d’un Africa Lab, espace de co-création entre chercheurs, artistes et entrepreneurs du continent, cristallise la vision prospective de Matoko. Le projet, adossé à un futur Forum Afrique-Unesco annuel, ambitionne de traduire le slogan institutionnel « Construire la paix dans l’esprit des hommes » en politiques publiques tangibles. Coopération triangulaire avec l’Union africaine, articulation avec les banques de développement régionales, partenariats avec les diasporas : autant de volets qui, selon le candidat, donneraient à l’Unesco « une pertinence politique égale à sa légitimité intellectuelle ». Reste à savoir si cette feuille de route séduira au-delà du cercle africain et convaincra les 193 États membres que la priorité Afrique peut constituer une chance pour l’ensemble de l’organisation.