Cap diplomatique sur l’UNESCO
À quinze mois d’une élection décisive pour la gouvernance de l’Organisation des Nations unies pour l’éducation, la science et la culture, Brazzaville s’active. Depuis sa nomination comme ambassadeur itinérant le 14 mai 2025, Edouard Firmin Matoko s’est vu confier par le président Denis Sassou Nguesso la mission de faire converger, autour de sa candidature, les voix des cinquante-huit États membres du Conseil exécutif. Le calendrier est serré : le prochain directeur général sera choisi en octobre 2025 en Ouzbékistan, avant d’être entériné par la Conférence générale siégeant à Paris.
Les capitales africaines en première ligne
Conformément à la doctrine diplomatique congolaise, l’effort initial s’est concentré sur le continent. Entre le 21 et le 29 juillet, le chef de la diplomatie Jean-Claude Gakosso et le candidat Matoko ont sillonné l’Angola, l’Afrique du Sud, le Mozambique, le Botswana, Maurice puis l’Éthiopie. Partout, le message est resté le même : « L’Afrique doit être là où se décident les politiques mondiales de savoir et de culture », a martelé le ministre, rappelant que le Sénégalais Amadou-Mahtar M’Bow fut, il y a près de quatre décennies, le seul Subsaharien à avoir dirigé l’institution.
Le président sud-africain a, selon Brazzaville, promis d’œuvrer au sein de la Communauté de développement de l’Afrique australe pour créer une dynamique régionale. À Gaborone, Luanda ou Maputo, les interlocuteurs ont salué la longue expérience de Matoko à l’UNESCO, où il occupe depuis 2018 les fonctions de sous-directeur général adjoint pour la priorité Afrique.
Au-delà du continent, le jeu des équilibres
Si le socle africain est indispensable, les stratèges congolais savent que l’arithmétique onusienne impose d’élargir la coalition. Les consultations ont discrètement commencé avec les représentants de l’Asie centrale, où se déroulera le scrutin, mais aussi avec les pays du Groupe latino-américain et caribéen, traditionnel faiseur de rois au Conseil exécutif. Selon une source diplomatique congolaise, « les chancelleries d’Ouzbékistan, du Mexique et de la Jordanie se sont montrées réceptives à l’idée d’une alternance géographique équitable ».
Dans les couloirs de Fontenoy à Paris, certains observateurs estiment que la candidature Matoko, portée par un État non membre permanent du Conseil de sécurité, pourrait rassembler celles et ceux qui souhaitent une direction moins polarisée par les rivalités de grandes puissances. Les émissaires de Brazzaville évoquent une « troisième voie » qui ferait de l’UNESCO un laboratoire de coopération Sud-Sud.
Un profil à la croisée de la technique et du politique
Ingénieur informaticien de formation, passé par l’Université de Montréal, Edouard Firmin Matoko incarne un fonctionnaire international aguerri. À l’UNESCO depuis plus de vingt ans, il a dirigé successivement les secteurs de l’éducation et de la priorité Afrique, avant d’être chargé de la coordination des antennes régionales. Cette trajectoire confère à sa candidature la stabilité bureaucratique que recherchent nombre de délégations soucieuses de continuité au-delà des alternances politiques nationales.
Dans la presse congolaise, le chef de l’État a résumé l’argumentaire : « Nous n’envoyons pas un novice, mais un homme qui connaît la maison et, surtout, les attentes du continent ». Pour nombre d’analystes, cette expérience est un atout face aux deux autres prétendants encore en lice, issus respectivement d’Asie et d’Europe de l’Est.
Des thèmes programmatiques calibrés
Le projet défendu par Matoko s’articule autour de trois priorités déclarées : renforcer la coopération scientifique face aux pandémies émergentes, accélérer la transition numérique inclusive et consolider la protection du patrimoine immatériel menacé par les conflits. Dans un document de travail circulant parmi les délégations, il propose la création d’un Fonds d’innovation des Suds, destiné à soutenir les jeunes chercheurs africains et latino-américains. Pour l’analyste guatémaltèque Maria Flores, « cette convergence thématique peut séduire un large spectre d’États en quête de retombées concrètes ».
Brazzaville insiste également sur la promotion de la francophonie, sans pour autant en faire un marqueur exclusif. Le ministre Gakosso souligne que « la langue française est un pont, non un mur », rappelant que le multilinguisme constitue l’un des principes fondateurs de l’institution.
Vers un test de leadership pour Brazzaville
L’échéance d’octobre 2025 se présente ainsi comme un révélateur de la capacité d’influence d’un pays d’Afrique centrale souvent jugé discret sur la scène multilatérale. Dans un environnement global marqué par la fragmentation, la percée d’un candidat congolais démontrerait que des réseaux d’alliance peuvent encore se construire autour d’objectifs strictement programmatiques. « Si Matoko l’emporte, Brazzaville prouvera qu’une diplomatie de conviction peut rivaliser avec les capacités financières et médiatiques des grandes puissances », estime le professeur ivoirien Abou Bamba.
D’ici là, la diplomatie congolaise entend maintenir la cadence. Les ambassadeurs en poste à New Delhi, La Havane ou Madrid ont reçu des instructions précises : prendre langue avec les gouvernements hôtes et rappeler que l’UNESCO fut, dès sa création en 1945, pensée comme un forum universel. À Paris, le représentant permanent du Congo s’emploie, lui, à multiplier les rencontres informelles dans les salons feutrés de la place de Fontenoy. Le compte à rebours est lancé, et Brazzaville, résolue, affine son art de la persuasion.