Une campagne d’influence régionale
Depuis plusieurs semaines, le ministère congolais des Affaires étrangères déploie une véritable diplomatie itinérante à travers l’arc de l’Afrique australe. Sous l’impulsion du président Denis Sassou Nguesso, le chef de la diplomatie, Jean-Claude Gakosso, inscrit chaque étape dans une trajectoire ascendante : Maputo, Gaborone, puis Port-Louis avant un relais attendu en Afrique de l’Ouest et dans la Corne. Cette démarche, qu’un diplomate qualifie de « campagne d’influence raisonnée », vise à consolider les soutiens indispensables au sein du Conseil exécutif de l’Unesco, où se jouera l’élection du prochain directeur général.
Le pari Firmin Édouard Matoko
Technocrate reconnu dans l’architecture onusienne, ancien sous-directeur général de l’Unesco, Firmin Édouard Matoko incarne, pour Brazzaville, une candidature de consensus africain. Ses années d’expérience au siège parisien, sa maîtrise des dossiers éducatifs et son réseau francophone constituent des atouts décisifs. « Son profil rassure les bailleurs tout en galvanisant les pays émergents », souligne un chercheur de l’Institut panafricain de gouvernance. Matoko défend une Unesco qui « parle avec l’Afrique et non seulement de l’Afrique », message qui trouve un écho particulier dans les capitales anglophones et lusophones du Sud.
Mozambique et Botswana, des relais stratégiques
La séquence mozambicaine, ouverte le 23 juillet à Maputo, a permis à la délégation congolaise de sonder la position d’un pays dont la voix est convoitée par plusieurs prétendants. Le Mozambique, engagé dans des réformes éducatives et linguistiques d’ampleur, voit dans le programme de Matoko une promesse de partenariats ciblés. Le lendemain, à Gaborone, la délégation a bénéficié d’une écoute attentive des autorités botswanaises, volontiers pragmatiques lorsqu’il s’agit de projets à forte valeur ajoutée pour la jeunesse et l’innovation scientifique. Les échanges, qualifiés de « constructifs » par un haut fonctionnaire botswanais, ont porté sur la consolidation du réseau panafricain de l’Unesco, bâti depuis la conférence de 2014 sur les transitions des jeunes.
Mémoire des luttes, ciment diplomatique
Au-delà du lobbying institutionnel, Brazzaville mise sur la mémoire partagée pour tisser une complicité politique durable. À Maputo, Jean-Claude Gakosso s’est recueilli devant le mausolée de Samora Machel, figure tutélaire des indépendances lusophones. Le symbole n’est pas fortuit : il rappelle l’alignement historique du Congo sur les combats anticolonialistes et ancre la candidature de Matoko dans une continuité militante. Cette mise en scène de la mémoire collective nourrit un récit diplomatique où l’Unesco est présentée comme « gardienne des héritages africains ». Dans son projet, le candidat s’engage ainsi à revitaliser l’Histoire générale de l’Afrique, chantier phare de l’organisation, afin de restituer aux peuples leurs narrations, de Luanda à Maputo.
Vers une diplomatie éducative panafricaine
L’offensive congolaise s’inscrit dans un contexte de recomposition de l’agenda international de l’éducation. La pandémie a mis à nu les fragilités des systèmes scolaires, tandis que la transition numérique réinvente l’accès au savoir. Matoko plaide pour un pacte éducatif panafricain articulé autour de la formation aux sciences, des langues nationales et de la valorisation des patrimoines immatériels. Pour Brazzaville, cet axe éducatif renforce la crédibilité d’une diplomatie traditionnellement portée sur la paix et la médiation. « Unesco, agriculture de l’esprit, sécurité des idées », résume un conseiller présidentiel, réaffirmant le choix d’investir le champ culturel comme vecteur de stabilité.
Prochaines étapes et convergences politiques
Après l’étape mauricienne, le Premier ministre Anatole Collinet Makosso prendra le relais à Libreville, Abidjan, Abuja, Ouagadougou, Monrovia puis Djibouti. Cette montée en puissance du niveau de représentation traduit l’importance stratégique de la phase finale, où les capitales francophones et anglophones joueront un rôle d’arbitres. D’ores et déjà, plusieurs chancelleries saluent la constance du Congo-Brazzaville, jugée « respectueuse des équilibres régionaux ». Si l’élection demeure ouverte, l’agilité affichée par Brazzaville illustre une pratique diplomatique qui conjugue conviction, mémoire et pragmatisme, tout en consolidant le positionnement du pays comme interlocuteur apprécié des organisations multilatérales.