Une réforme budgétaire à la recherche d’un mandat politique
À Westminster, l’examen du Welfare Reform Bill cristallise depuis plusieurs semaines un débat qui dépasse la seule arithmétique budgétaire. Annoncé par le Chancelier de l’Échiquier comme une « remise à niveau de l’efficience sociale », le texte vise une économie d’environ 4 milliards de livres par an, notamment par le durcissement des critères d’éligibilité aux allocations universelles. Le gouvernement fait valoir que la dépense sociale représente déjà près de 23 % du budget national, un ratio jugé « insoutenable » à moyen terme dans le contexte de remontée des taux d’intérêt et de contraction de la croissance.
Cependant, le scepticisme d’une partie de l’opinion se double d’un malaise parlementaire croissant. Plusieurs think tanks, dont l’Institute for Fiscal Studies, rappellent que près d’un Britannique sur cinq dépend d’au moins une prestation sociale et que la pauvreté infantile frôle désormais les 30 % dans certaines conurbations du nord de l’Angleterre. Les chancelleries européennes observent la situation avec intérêt, y voyant un test grandeur nature de la capacité du Royaume-Uni post-Brexit à concilier rigueur et cohésion.
Keir Starmer, entre discipline de parti et impératif électoral
La dynamique est d’autant plus complexe que la fronde émane d’élus travaillistes réputés proches de l’aile gauche du parti, mais aussi de figures centristes préoccupées par l’impact territorial de la réforme. Selon une source parlementaire, « jusqu’à vingt députés » envisageraient de voter l’amendement de suppression de l’article 4, celui qui plafonne les aides à l’enfance. Keir Starmer s’emploie à circonscrire la dissidence, proposant un compromis où le parti accepterait la mesure en échange d’une revalorisation ciblée des crédits logements.
Cette stratégie de containment n’est pas sans risque. Déjà, le leader de l’opposition avait dû temporiser lors du débat sur la taxation des superprofits des groupes énergétiques. Son entourage craint qu’un nouveau recul alimente l’idée, entretenue par Downing Street, d’un Labour indécis. À un an de législatives stratégiques, toute impression d’instabilité pourrait coûter cher dans les « Red Wall seats », ces anciens bastions ouvriers courtisés par les conservateurs.
Le cadrage macroéconomique, pierre d’achoppement persistante
Sur le plan financier, le Trésor fonde sa projection d’économies sur une prévision de retour au plein emploi dès 2025. Or la Banque d’Angleterre table sur une croissance limitée à 0,8 % cette année, et l’OCDE alerte sur la persistance d’un taux d’inactivité structurelle supérieur à 21 %. Dans un rapport transmis aux parlementaires, le Resolution Foundation estime que la réforme pourrait n’engendrer que « 1,7 milliard de livres » de gain net, dès lors que l’État devrait compenser l’augmentation attendue des aides au logement.
Les conservateurs rétorquent que des initiatives comme l’extension des programmes d’apprentissage et la réforme de l’immigration qualifiée dynamiseront le marché du travail. Pour l’ancien secrétaire d’État à l’Emploi Damian Green, « il ne s’agit pas de réduire pour réduire ; il s’agit de moderniser un système conçu pour les réalités économiques des années 1990 ». Un argument qui n’apaise pas totalement les inquiétudes sur le court terme.
Un Parlement sous haute tension internationale
La session agitée coïncide avec d’autres sujets de sécurité qui saturent l’agenda diplomatique britannique. Des responsables européens ont indiqué à la presse que les stocks d’uranium enrichi de l’Iran demeuraient « largement intacts » malgré la reprise des inspections de l’AIEA, relançant les discussions sur un possible réengagement de l’accord de 2015. Bien que sans lien direct avec le débat social, cette information fragilise la majorité qui cherche à cultiver un profil de fermeté à l’extérieur tout en prônant la sobriété budgétaire à l’intérieur.
À la Chambre des Lords, certains orateurs n’ont pas manqué de souligner que la crédibilité d’un pays à l’international commence par la stabilité de son contrat social. « Couper les filets de sécurité au moment où l’on exige des sacrifices géopolitiques est un pari risqué », affirme la baronne Smith, spécialiste des questions de défense. L’opinion publique partage en partie ce sentiment, 54 % des électeurs estimant, selon un sondage YouGov, que l’équilibre entre protection sociale et responsabilité budgétaire n’est « pas correctement posé ».
Perspectives et scénarios de sortie de crise
À ce stade, trois issues se dessinent. La première serait l’adoption pure et simple du texte, au prix de concessions symboliques sur les allocations familiales. La seconde, plus probable selon plusieurs observateurs, passerait par un report de l’entrée en vigueur des nouvelles règles afin de laisser le temps à l’économie de digérer le choc inflationniste. Enfin, un rejet net entraînerait une réécriture complète du projet, scénario que le gouvernement souhaite éviter en amont de la présentation du budget d’automne.
Quelle que soit l’issue immédiate, la séquence confirme la centralité retrouvée du Parlement britannique après les turbulences du Brexit. Elle rappelle également que, dans les démocraties matures, la question du filet social demeure l’un des marqueurs les plus sensibles de la légitimité politique. Pour Keir Starmer comme pour Rishi Sunak, l’enjeu dépasse le score d’un vote : il touche à la crédibilité même de leurs projets respectifs de gouvernement.