Une mise en conformité repoussée jusqu’à la dernière minute
La circulaire signée le 23 juin 2025 par le ministre burkinabè de l’Économie et des Finances, Aboubakar Nacanabo, n’est pas qu’une formalité administrative : elle met un terme à près de deux décennies de tolérance fiscale implicite sur les titres d’emprunt émis dans la zone UEMOA. L’article 9 de la directive communautaire de 2004, pourtant contraignant, n’avait jamais été transposé dans l’ordonnancement national. À force de dérogations tacites, la place financière de Ouagadougou s’était accommodée d’une exonération de facto, devenue un argument de vente pour les souscriptions domestiques aux obligations régionales. Les termes de la circulaire, secs et sans appel, annoncent donc un changement de paradigme plus qu’une simple actualisation technique.
Souveraineté fiscale versus solidarité communautaire
Au premier regard, la décision réaffirme la souveraineté budgétaire de l’État burkinabè, confronté à un déficit qui flirte avec 6 % du PIB selon la dernière note de cadrage macroéconomique. « Nous ne pouvions plus justifier de renoncer à des recettes quand les urgences sécuritaires absorbent déjà près de 20 % du budget », confie un conseiller du Trésor. Toutefois, l’inflexion se heurte à la solidarité fiscale recherchée par l’UEMOA. En harmonisant les bases imposables, la directive de 2004 entendait éviter la concurrence réglementaire entre États membres. Paradoxalement, le retard burkinabè avait créé un îlot d’attractivité, les gestionnaires d’actifs locaux privilégiant les titres ivoiriens, sénégalais ou maliens en sachant qu’ils seraient, à la sortie, exonérés à Ouagadougou. La fin de cette exception renvoie donc le Burkina Faso dans la norme communautaire, mais risque de modifier les arbitrages de portefeuille à l’échelle régionale.
Le marché primaire des titres publics au banc d’essai
Dès l’annonce, les courtiers ont recalibré leurs modèles de valorisation : un prélèvement de 15 % sur les coupons, taux usuel de l’impôt sur les valeurs mobilières, réduit mécaniquement le rendement net des obligations. Certains investisseurs institutionnels, soumis à des mandats stricts, pourraient exiger une prime de risque supplémentaire, créant une pression haussière sur les taux servis lors des adjudications du Trésor régional. À la Bourse régionale des valeurs mobilières (BRVM), l’effet psychologique s’est déjà matérialisé par un léger recul des volumes échangés sur les souches dites « BKF ». Pour le gouvernement, le pari consiste à capter de nouvelles ressources fiscales sans renchérir excessivement le coût de la dette. L’équation est d’autant plus délicate que, depuis 2022, les agences de notation ont placé la note souveraine du Burkina Faso sous perspective négative, principalement en raison du contexte sécuritaire.
Réactions d’investisseurs entre résignation et interrogation
Les premiers commentaires recueillis auprès des sociétés de gestion ouest-africaines révèlent un pragmatisme prudent. « Le Burkina n’invente rien ; il applique enfin les règles communes », rappelle le directeur d’un fonds basé à Abidjan, tout en reconnaissant que « la communication tardive laisse peu de temps pour réajuster les allocations ». Du côté des banques locales, la mesure est accueillie comme un mal nécessaire. Un responsable de la Fédération des associations professionnelles de banques et établissements financiers de l’UEMOA souligne que « la stabilité fiscale est plus précieuse que l’avantage compétitif illusoire d’une exonération sans base légale ». Néanmoins, plusieurs investisseurs étrangers, attirés ces dernières années par les rendements élevés des obligations régionales, pourraient réduire leur exposition, d’autant que la liquidité secondaire reste limitée.
Conséquences budgétaires et image internationale
Le ministère table sur un gain annuel avoisinant 15 milliards de francs CFA, soit près de 0,1 % du PIB. Cette manne apparaît modeste au regard des besoins de financement liés à la restructuration du secteur de la défense ou aux programmes d’infrastructures. Toutefois, elle pourrait améliorer la perception des bailleurs institutionnels, qui plaidaient depuis longtemps pour un élargissement de l’assiette fiscale. À Washington, un fonctionnaire du FMI salue « un pas vers la cohérence budgétaire », même si l’institution redoute l’effet de seuil sur le marché domestique de la dette. En se rapprochant de la norme communautaire, Ouagadougou espère également envoyer un signal de discipline réglementaire, alors que les investisseurs gardent en mémoire le défaut sélectif de 2023 sur certains bons du Trésor burkinabè libellés en monnaie locale.
Un précédent pour les voisins ou simple rattrapage?
Au-delà des frontières nationales, la décision pose la question de l’exemplarité. Plusieurs capitales de l’Union appliquent déjà la directive, mais souvent avec des dispositifs d’exonération ciblés pour soutenir la dette de court terme ou encourager la titrisation de créances bancaires. En choisissant de mettre fin à toute dérogation pour les titres émis hors de son périmètre souverain, le Burkina Faso se positionne comme un laboratoire de l’orthodoxie fiscale. Reste à savoir si d’autres États, à commencer par le Niger ou le Togo, suivront cette voie intégrale ou maintiendront des niches pour préserver l’attractivité de leurs émissions. À court terme, la mesure burkinabè pourrait créer un effet de vases communicants, les investisseurs cherchant des juridictions où la fiscalité reste plus douce. À long terme, elle pourrait, au contraire, accélérer l’harmonisation et réduire les distorsions dans la circulation du capital à l’intérieur de l’UEMOA.
Ultime horizon : concilier impératif de recettes et stabilité financière
Les diplomates en poste à Ouagadougou observent attentivement la séquence : l’enjeu n’est pas seulement financier, il touche à la crédibilité d’un État qui aspire à diversifier ses partenaires, notamment vers les marchés asiatiques et moyen-orientaux. Le succès ou l’échec de cette réforme sera mesuré à l’aune de la prochaine campagne d’émission d’obligations de relance, programmée pour le dernier trimestre 2025. Si les taux demeurent contenus et que la collecte fiscale progresse, le Burkina Faso démontrera qu’il est possible de renforcer l’autonomie budgétaire sans fragiliser l’édifice régional. Dans le cas contraire, la mesure pourrait être révisée, ravivant les critiques sur la volatilité normative dans une zone monétaire déjà éprouvée par les chocs sécuritaires et climatiques. La partie se joue désormais sur le terrain de la confiance, aussi bien domestique qu’internationale.