Une compagnie sous perfusion budgétaire depuis la révolution de 2011
Lorsqu’en janvier 2011 les manifestations de la révolution tunisienne ont fait vaciller l’édifice institutionnel, Tunisair s’est retrouvée brutalement privée d’une partie de son marché et de son influx touristique. Treize ans plus tard, l’entreprise accuse chaque exercice d’un déficit structurel que les dotations publiques masquent plus qu’elles ne l’absorbent. Le ministère des Transports lui a déjà consenti plus de 1,2 milliard de dinars d’avances et de garanties, sans qu’aucune trajectoire de retour à l’équilibre ne se dessine durablement. « Nous sommes condamnés à voler à perte tant que le modèle économique reste inchangé », confiait récemment un cadre supérieur sous couvert d’anonymat.
Le poids écrasant de la masse salariale et des dettes libellées en devises
Le diagnostic est documenté depuis longtemps : l’effectif de Tunisair avoisine treize mille agents pour une flotte opérationnelle qui descend parfois sous la barre des vingt appareils. La moyenne internationale, rappelée par l’Association internationale du transport aérien, se situe autour de cent employés par avion, là où la compagnie tunisienne en aligne plus de six cents. Cette hypertrophie se double d’un passif financier évalué à 2,3 milliards de dinars, dont les deux tiers contractés en dollars et en euros. Chaque dépréciation du dinar grève donc un peu plus le bilan, rendant le désendettement presque illusoire sans injection de capitaux frais.
Entre Bruxelles, Doha et Alger : hypothèses de partenariats stratégiques
Face à l’impasse budgétaire, Tunis et Tunisair ont exploré plusieurs pistes de coopération externe. En 2018, la Commission européenne avait laissé entrevoir l’ouverture d’un « ciel ouvert » visant à intégrer, à terme, la Tunisie dans l’espace aérien commun européen. Le dossier, jugé trop risqué pour une compagnie convalescente, a été mis au congélateur. Doha a ensuite proposé une prise de participation minoritaire via Qatar Airways ; l’idée a refroidi quand il a fallu envisager une compression d’effectifs drastique. Des diplomates algérois laissent enfin entendre que la compagnie Air Algérie serait disposée à mutualiser la maintenance et la gestion des escales maghrébines, à condition de recevoir des créneaux privilégiés sur l’aéroport de Tunis-Carthage. Aucune de ces offres n’a pour l’heure franchi le mur de la décision politique.
L’équation sociale, un test grandeur nature pour le gouvernement Bouden
Toute restructuration de Tunisair se heurte à l’influence persistante de l’Union générale tunisienne du travail. Le syndicat a martelé qu’il n’accepterait « aucun licenciement sec ». Les précédents plans, élaborés en 2017 puis en 2021, prévoyaient pourtant une réduction de quatre mille postes et la filialisation de l’activité catering. À chaque tentative, la menace d’un conflit social bloquant les aéroports a dissuadé l’exécutif d’aller jusqu’au bout. Or, la Première ministre Najla Bouden a besoin, pour poursuivre les négociations avec le Fonds monétaire international, de démontrer sa capacité à engager des réformes structurelles. Tunisair est de fait devenue l’exemple emblématique de cette tension entre impératif de stabilité sociale et discipline budgétaire.
Quel rôle pour les bailleurs internationaux dans ce sauvetage national ?
Le FMI attend de Tunis un programme cohérent où la recapitalisation de la compagnie ne pèsera pas excessivement sur un Trésor public déjà sollicité par la hausse des subventions énergétiques. La Banque européenne pour la reconstruction et le développement s’est dite prête à financer un renouvellement partiel de la flotte, mais seulement après la présentation d’un business plan certifié par un cabinet extérieur. De son côté, la Banque africaine de développement milite pour une régionalisation des dessertes afin de doper l’intégration maghrébine. Autant d’institutions dont les agendas convergent sur un point : conditionner chaque dinar ou chaque euro à une refonte de la gouvernance.
Scénarios de sortie de crise et risques pour la connectivité tunisienne
Trois scénarios circulent dans les couloirs du ministère : une cure d’amaigrissement interne avec soutien étatique limité ; une ouverture du capital à un partenaire stratégique aérien étranger ; ou, plus radicale, la création d’une nouvelle entité publique allégée reprenant seulement les actifs sains. Chacun comporte son lot d’aléas juridiques, financiers et sociaux. Pendant ce temps, la flotte vieillit, les retards se multiplient et les touristes s’interrogent. Le risque, avertissent les experts, est de voir la Tunisie perdre de sa connectivité au profit de hubs concurrents comme Istanbul ou Casablanca. « Plus les autorités tardent, plus la facture s’alourdit », prévient un ancien ministre des Transports. L’incertitude plane donc encore sur le tarmac de Tunis-Carthage, symbole d’un pays qui peine à arbitrer entre volontarisme réformateur et pression de la rue.