Jeu de miroirs à Washington entre Kinshasa et Luanda
Profitant des couloirs feutrés du US-Africa Business Summit, Félix Tshisekedi et João Lourenço ont échangé à huis clos, loin des caméras, un tête-à-tête dont ni la durée ni le verbatim n’ont fuité. Officiellement, la rencontre visait à « intensifier le partenariat énergétique et logistique » entre Kinshasa et Luanda, indispensables l’un à l’autre pour valoriser le corridor Lobito et sécuriser l’acheminement du cuivre et du cobalt congolais vers l’Atlantique. Officieusement, elle fut l’occasion de désamorcer les crispations apparues depuis les opérations congolaises contre les groupes armés opérant à la frontière, initiative jugée « précipitée » par Luanda. La présence d’émissaires américains, intéressés par une alternative à la logistique chinoise, a souligné à quel point les équilibres bilatéraux se négocient désormais sous l’œil attentif des grandes puissances.
Ouattara en quête d’une normalisation post-crise
À Abidjan, Alassane Ouattara tente d’inscrire sa dernière mandature dans une dynamique de stabilisation institutionnelle. La libération conditionnelle de plusieurs figures de l’opposition, saluée par l’ONU, vise à pacifier le paysage politique avant les élections régionales d’octobre. Toutefois, la question de la limitation des mandats revient dans le débat public depuis que le chef de l’État a laissé planer l’hypothèse d’un retrait « sous réserve de la continuité des réformes ». Nombre d’observateurs y voient un message codé à la communauté internationale : la transition ivoirienne sera progressive et indexée sur la consolidation des indicateurs macroéconomiques, alors que la dette publique franchit le seuil symbolique de 60 % du PIB.
Le cas Sonko, symptôme d’une transition contestée au Sénégal
À Dakar, l’arrestation persistante d’Ousmane Sonko continue de polariser l’opinion. Le gouvernement invoque la nécessité de « préserver la stabilité républicaine », tandis que de influents constitutionnalistes rappellent qu’une candidature n’est « jamais automatique » en cas de condamnation pénale. Les partenaires occidentaux, jusque-là discrets, s’interrogent : l’image de vitrine démocratique du Sénégal, essentielle pour le financement des gisements gaziers de la Grande Tortue Ahmeyim, pourrait s’éroder. Pour le politologue Moussa Diaw, « le pouvoir joue une partie d’échecs à trois dimensions : domestique, judiciaire et diplomatique ». Le risque est d’alimenter un ressentiment juvénile déjà aigu, amplifié par les réseaux sociaux et un chômage structurel de 20 % parmi les moins de trente ans.
William Ruto, funambule entre Washington, Bruxelles et Pékin
Élu sur la promesse d’un « bottom-up economic model », William Ruto a surpris en multipliant les voyages à l’étranger depuis le début de l’année, dont trois à Bruxelles et deux à Washington. Objectif : renégocier les conditions de la dette chinoise – près de 63 % du service extérieur kenyan – tout en sécurisant de nouveaux guichets occidentaux pour son programme d’infrastructures vertes. À Nairobi, la récente signature d’un accord de défense avec les États-Unis, incrustant une présence accrue du commandement AFRICOM dans la région du Nord-Est, est lisible comme une garantie contre l’instabilité somalienne. Pékin observe, peu encline à perdre un partenaire logistique clé sur la voie ferrée Mombasa-Naivasha.
Multipolarité africaine : divergences tactiques, convergences de fond
Malgré des contextes nationaux disparates, les cinq dirigeants partagent une constante : la recherche d’un levier extérieur pour résoudre des enjeux internes. Washington, Bruxelles, Pékin, mais aussi Ankara ou Riyad, se hissent en arbitres de proximité dans des dossiers jadis cantonnés au périmètre africain. Le résultat est une diplomatie fragmentée dans la forme, mais convergente dans le fond, qui place la souveraineté économique au cœur de la décision politique. L’ex-ministre nigérian des Affaires étrangères, Aminu Wali, résume la tendance : « La véritable bataille n’est plus l’alignement idéologique, mais la captation du capital et de la technologie. »
Perspective : vers une nouvelle grammaire de l’influence
La succession d’initiatives décrites confirme qu’une grammaire diplomatique inédite émerge en Afrique subsaharienne. Elle mêle la logique du non-alignement historique à une revendication plus pragmatique : monétiser la valeur stratégique des ressources naturelles et de la démographie. Dans ce jeu, la stabilité interne devient une variable négociable, tant qu’elle n’entrave pas la circulation des flux financiers et logistiques. Les chancelleries européennes devront intégrer cette réalité si elles veulent rester crédibles face à des gouvernements africains toujours plus aptes à diversifier leurs partenaires.