Une invitation restreinte qui rebat les cartes de la visibilité continentale
À Washington, l’agenda diplomatique de juillet se singularise par la tenue du premier sommet africain du second mandat du président Donald Trump. L’événement, limité à cinq invités – Gabon, Guinée-Bissau, Libéria, Mauritanie et Sénégal – tranche avec les grands-messes multilatérales chères à ses prédécesseurs. Officiellement, cette configuration réduite permettrait, selon un conseiller de la Maison-Blanche, « d’approfondir les échanges sans le brouhaha protocolaire des réunions plénières ». Officieusement, elle reflète la volonté de capitaliser sur des partenaires perçus comme politiquement stables et disposés à épouser la doctrine America First sans contestation frontale.
La date du 9 juillet n’est pas anodine : elle précède de peu le sommet Union africaine–Union européenne prévu à Bruxelles à l’automne, plaçant ainsi les États-Unis en position de préempter certains dossiers, en particulier la sécurité maritime dans le golfe de Guinée et l’exploitation prochaine des gisements gaziers sénégalais. Le choix de ne convier ni géants démographiques ni puissances militaires continentales souligne également la tentation de miser sur des capitales considérées comme « facilitatrices » plutôt que prescriptrices. Pour les chancelleries africaines, obtenir ou non une invitation fait désormais figure de baromètre de proximité avec l’exécutif américain.
De l’aide humanitaire au commerce pragmatique : la doctrine Rubio en action
L’annonce d’un arrêt quasi total des programmes USAID sur le continent a résonné comme un coup de gong à Addis-Abeba. Le secrétaire d’État Marco Rubio a justifié ce pivot par la nécessité de « favoriser les nations qui démontrent la capacité et la volonté de s’aider elles-mêmes ». En filigrane, Washington cherche à troquer une logique de don pour une logique de retour sur investissement, s’inscrivant pleinement dans la rhétorique du deal chère à Donald Trump.
Concrètement, la délégation américaine présentera un paquet d’initiatives articulé autour de l’Exim Bank et de la Development Finance Corporation, doté d’instruments de garanties sur les secteurs énergétique, agro-industriel et numérique. Pour le Sénégal, qui s’apprête à exporter son premier baril de pétrole offshore, la perspective d’une couverture de risque politique made in USA représente une avenue complémentaire aux financements qatariens et chinois. Côté libérien, l’enjeu est de sortir du tout-subvention et de rassurer des investisseurs méfiants après l’épidémie d’Ebola et la volatilité des cours du fer.
Visas, perception sécuritaire et diplomatie des valeurs : un triangle délicat
Les restrictions de visas imposées depuis 2019 à plusieurs pays africains constituent le grain de sable dans la machine. Si aucun des cinq États invités n’est directement visé, leurs ressortissants en ressentent néanmoins les effets collatéraux, notamment dans le secteur de l’enseignement supérieur. Au Quai d’Orsay, un diplomate observe que « l’attractivité académique des États-Unis s’émousse lorsque l’obtention d’un simple visa étudiant devient un parcours du combattant ».
La Maison-Blanche fait valoir, pour sa part, l’impératif de sécurité nationale, évoquant la lutte contre les réseaux jihadistes du Sahel et contre la piraterie au large du Cameroun. Dans les couloirs du Département d’État, on insiste sur la complémentarité avec l’Initiative pour la sécurité en Afrique (ASI), centrée sur la coopération de renseignement. Les chefs d’État africains, eux, entendent monnayer leur collaboration sécuritaire contre un assouplissement des critères migratoires pour leurs élites économiques et scientifiques.
Enjeux sous-régionaux : quelle marge pour l’Afrique centrale ?
Bien que non représenté au plus haut niveau, le bassin du Congo ne sera pas absent des discussions. Les autorités de Brazzaville, qui observent une attitude constructive dans les forums multilatéraux, ont été clairement identifiées par Washington comme un relais potentiel dans la stabilisation du corridor fluvial reliant l’Atlantique au cœur du continent. Les diplomates congolais suivent de près les conclusions du sommet, notamment sur la gouvernance forestière et la certification carbone, domaines où le Congo-Brazzaville s’est récemment positionné en partenaire fiable des bailleurs internationaux.
Au-delà, la Communauté économique des États de l’Afrique centrale table sur une articulation plus serrée entre ses projets d’infrastructures et la nouvelle diplomatie économique américaine. La convergence entre les feuilles de route régionales et l’offre de financement par capitaux privés venus des États-Unis pourrait, à terme, réduire la dépendance aux créanciers asiatiques, tout en ouvrant à Washington un couloir d’influence apaisé.
Lecture prospective : vers un partenariat sélectif mais assumé
En conviant un groupe restreint de dirigeants, l’administration Trump parie sur l’effet démultiplicateur d’alliances ciblées plutôt que sur le consensus continental. Cette approche suscite des interrogations, mais elle répond à une logique interne américaine : rentabiliser chaque dollar dépensé à l’étranger sous le double filtre de la sécurité nationale et des retombées commerciales.
Pour les capitales africaines, l’enjeu consiste à saisir les opportunités sans aliéner d’autres partenariats, au premier rang desquels ceux tissés avec l’Union européenne ou la Chine. Dans la pratique, le succès du sommet se mesurera à la capacité des parties à transformer les promesses publiques en programmes bancables et à éviter que le dossier sensible des visas ne vienne gripper la mécanique. Selon la professeure Ousmane Diabira, spécialiste des relations transatlantiques, « il ne s’agit ni d’une révolution ni d’un simple effet d’annonce, mais d’un test de crédibilité qu’il appartiendra aux cinq chefs d’État comme à Washington de passer ensemble ».