Le défi de la prospérité partagée
Le pétrole, les forêts et la ceinture minière confèrent au Congo-Brazzaville un capital naturel dont rêvent nombre de voisins. Pourtant, rappelle l’économiste Charles Abel Kombo, la prospérité ne touche pas encore toutes les couches sociales. Son diagnostic interroge la trajectoire choisie par l’économie nationale.
Invité par Les Echos du Congo-Brazzaville, le spécialiste appelle à « transformer la richesse du sol en richesse du peuple ». Il salue la reprise de 2,6 % prévue cette année, tout en plaidant pour une croissance plus inclusive et mieux ancrée dans les secteurs non pétroliers.
Un potentiel économique pluriel
Pour Charles Abel Kombo, le pays se trouve « à la croisée des richesses ». Autrement dit, il possède l’occasion historique de passer d’une économie d’extraction à une économie de transformation. Le défi consiste à convertir le pétrole, le bois et les minerais en valeur ajoutée locale.
Le corridor Pointe-Noire-Brazzaville, déjà soutenu par des investissements publics, peut devenir le centre d’un tissu industriel agile : raffineries modernisées, scieries certifiées, et usines d’engrais alimentées par le gaz associé. Ces maillons garantissent des emplois qualifiés et un meilleur ancrage des revenus dans les territoires.
Rebond de la croissance hors pétrole
Les derniers chiffres du ministère de l’Économie confirment un redressement du secteur agricole, notamment autour du manioc, du cacao et de l’aviculture. Selon l’économiste, « l’agriculture peut devenir le deuxième pilier du PIB si l’on sécurise les filières, du champ jusqu’au marché urbain ».
Dans les services, le numérique poursuit son ascension avec le mobile-money et les plateformes logistiques. Ces activités, peu consommatrices de devises, offrent des perspectives d’emplois jeunes. Pour Kombo, elles « réduisent la dépendance psychologique au baril en insufflant une culture de l’innovation et de la valeur locale ».
Capital humain, clé de la compétitivité
L’universitaire insiste sur la formation : « Le capital humain est notre première mine. » Il encourage l’allocation d’au moins 20 % du budget national à l’éducation et à la santé. Un tel effort, souligne-t-il, consoliderait la productivité et l’attractivité du marché congolais.
Des réformes sont déjà en marche, comme le programme de bourses techniques lancé l’an dernier pour 500 étudiants. Kombo estime cependant qu’il faut accélérer en adaptant les curricula aux besoins de l’industrie agroalimentaire, des mines et des énergies renouvelables, secteurs porteurs des dix prochaines années.
Vers un fonds souverain de stabilisation
Face à la volatilité du brut, l’économiste propose de créer un fonds souverain, inspiré des modèles norvégien et botswanais. L’outil lisserait les revenus, financerait les infrastructures et servirait de garantie aux investisseurs privés, sans alourdir la dette publique.
Une partie du fonds pourrait, selon lui, être placée dans des obligations vertes, afin de renforcer la stratégie climatique nationale. « Nous devons faire de la finance durable une source de devises, pas seulement un slogan environnemental », insiste-t-il, pointant les crédits carbone liés à la forêt congolaise.
Gouvernance et transparence renforcées
Kombo juge la bonne gouvernance déterminante. Il salue les avancées récentes en matière de passation électronique des marchés et de publication des rapports de l’Initiative pour la Transparence dans les Industries Extractives. « La confiance des citoyens et des bailleurs dépend de la clarté des chiffres », rappelle-t-il.
Il plaide aussi pour une participation citoyenne plus active, via des comités locaux de suivi budgétaire. De tels dispositifs, déjà testés dans certaines communes, facilitent la reddition des comptes et réduisent les tensions sociales, tout en stimulant un sentiment d’appartenance au processus de développement.
Diplomatie verte et finance carbone
La forêt du bassin du Congo capte chaque année des millions de tonnes de CO2. Brazzaville participe déjà aux négociations internationales pour valoriser ce service écologique. Kombo encourage la montée en puissance d’une diplomatie verte capable d’attirer des partenariats technologiques et des paiements pour services écosystémiques.
Il note que plusieurs bailleurs se disent prêts à soutenir des projets de certification carbone, pourvu qu’un cadre rigoureux soit adopté. Ces revenus additionnels alimenteraient les programmes d’électrification rurale et de reboisement, renforçant ainsi le lien entre protection de la nature et amélioration du quotidien.
Une feuille de route collective
Au final, l’économiste refuse le pessimisme. « Le Congo possède tous les atouts pour devenir un exemple régional, à condition de maintenir la constance des réformes », affirme-t-il. Il voit dans la prochaine stratégie nationale de développement un cadre pour articuler stabilité macroéconomique, inclusion et transition verte.
La balle est désormais dans le camp des décideurs publics, des entrepreneurs et de la société civile. En coordonnant leurs efforts, ils peuvent changer l’équation : faire en sorte que chaque baril exporté, chaque grume valorisée, se traduise en écoles, routes et opportunités pour la jeunesse congolaise.
Comme le résume Kombo, « transformer la richesse du sol en richesse du peuple n’est pas un slogan, mais un contrat moral entre générations ». Dans les années à venir, la capacité du Congo à matérialiser ce contrat définira son rang dans l’Afrique émergente.