Un cimetière devenu lieu de mémoire nationale
Tôt le matin du 1ᵉʳ novembre, l’allée centrale du cimetière public de Moukoundzi Ngouaka, à Makélékélé, s’illumine de couronnes blanches et vertes. Entre les stèles de granit, des familles, des militaires et des élèves se rapprochent dans un silence dense, guidés par le clairon.
Cet espace funéraire, le plus vaste de la capitale, accueille depuis plus d’un siècle les dépouilles d’anonymes et de figures connues. Au-delà de sa vocation première, il concentre désormais un récit collectif où se mêlent luttes politiques, exploits sportifs et histoires familiales.
La présence de soldats en tenue d’apparat, de prêtres et d’élus communaux témoigne de l’importance que les autorités congolaises accordent à ce patrimoine. Le site devient, le jour de la Toussaint, un vaste amphithéâtre de mémoire nationale partagé par toutes les générations.
Un geste symbolique du gouvernement
Au cœur de la cérémonie, le ministre de l’Assainissement urbain, du Développement local et de l’Entretien routier, Juste Désiré Mondélé, s’avance sous les yeux recueillis de la foule. Il dépose une gerbe aux rubans tricolores au pied du monument principal, avant la sonnerie aux morts.
Dans une brève allocution, il salue « ces milliers de légendes et d’anonymes qui continuent de vivre parmi nous ». Pour le membre du gouvernement, l’acte symbolise la gratitude de la Nation envers tous ceux qui ont « accompli leur pèlerinage sur la terre sacrée du Congo ».
Le geste rappelle aussi la tradition républicaine instaurée depuis plusieurs décennies, consistant à associer au culte des morts un message d’unité nationale. « Nous partageons ce Congo éternel, symbole de solidarité », insiste le ministre, arrachant des applaudissements sobres malgré la solennité du moment.
La Toussaint, temps de solidarité républicaine
Cette année, la Toussaint coïncide avec la Journée nationale de salubrité, offrant un double écho à la cérémonie. Les services municipaux, épaulés par des associations de jeunes, ont ratissé les allées, désherbé les bordures et repeint les croix pour rendre le lieu plus accueillant.
Le maire de Makélékélé, Bernard Batantou, voit dans cette convergence un signal fort : « L’entretien des sépultures est un devoir civique autant qu’un acte de piété ». Selon lui, la salubrité publique épouse ici la mémoire collective, renforçant l’image d’une capitale soucieuse de son histoire.
La population, venue nombreuse malgré la chaleur, participe à la distribution de sacs-poubelle et de lampes à huile destinées à illuminer les tombes. Deux générations plus tard, le geste d’allumer une lampe demeure un rituel intime qui tisse un lien discret entre les vivants et les disparus.
Patrimoine et jeunesse : l’exemple du footballeur Jadot
Parmi les personnalités inhumées à Moukoundzi Ngouaka figure le footballeur Jadot, de son vrai nom Germain Dzabana, attaquant des Diables Rouges dans les années 1970. Sa stèle, fleurie de ballons miniatures, attire toujours les jeunes licenciés des clubs de quartier venus chercher inspiration et fierté.
Pour Juste Désiré Mondélé, rappeler son parcours sert d’illustration concrète aux valeurs d’abnégation et de dépassement. « Jadot est une source d’énergie pour la jeunesse sportive », glisse-t-il en caressant brièvement le marbre poli, sous le regard attendri d’anciens supporters portant encore le maillot rouge.
Les historiens locaux profitent souvent de la Toussaint pour guider des visites pédagogiques. Ils rappellent que les tombes deviennent ici des pages d’archives à ciel ouvert, utile complément des salles de cours. L’enseignement mémoriel gagne ainsi les chaussées ombragées du cimetière, loin des manuels scolaires.
Salubrité et préservation du site mémoriel
La dimension environnementale n’est pas oubliée. En marge des prières, des agents du ministère de l’Assainissement distribuent des plants de frangipanier à replanter près des concessions familiales. Objectif annoncé : renforcer la couverture végétale et atténuer la chaleur urbaine qui fragilise les pierres tombales anciennes.
Dans la foulée, les techniciens municipaux vérifient le drainage des allées sablonneuses pour prévenir les inondations durant la prochaine saison des pluies. Les plaques commémoratives récemment rénovées sont protégées par un vernis hydrofuge, signe que la conservation du site s’inscrit dans la durée.
Interrogée entre deux rangées de cyprès, une étudiante en architecture confie analyser les symboles sculptés sur les monuments. Elle espère valoriser ces données dans un projet de cartographie numérique du patrimoine funéraire, « pour que nos racines soient partagées au-delà des murs du cimetière ».
Citoyens et autorités unis dans le recueillement
Au crépuscule, les bougies alignées devant chaque pierre forment un ruban lumineux visible depuis la route nationale numéro un. La musique d’une fanfare de quartier accompagne le retrait des officiels, laissant la place aux familles qui prolongent la veillée jusqu’aux premières heures de la nuit.
Pour beaucoup, cette journée dépasse le simple hommage. Elle rappelle que le respect des morts nourrit la cohésion des vivants et qu’une capitale se mesure aussi à l’attention qu’elle porte à ses lieux de silence. Brazzaville, ce soir-là, semble l’avoir murmuré en douceur.
