Un partenaire au profil aussi discret que controversé
Lorsque la présidence nigériane a confirmé l’existence d’un contrat de 70 millions de dollars portant sur la fourniture d’équipements énergétiques entre Abuja et un consortium piloté par Alexander Zingman, la communauté diplomatique a levé un sourcil. Discret sur la place de Minsk, le financier américano-biélorusse s’est pourtant illustré en 2021 lorsqu’il fut brièvement détenu en République démocratique du Congo pour « transactions suspectes » (Reuters). Depuis, son nom circule dans les câbles diplomatiques comme un habitué des juridictions offshore, en pointe dans la vente d’armes légères mais également dans le commerce de turbines.
Les registres du Delaware, où il a immatriculé plusieurs entités, laissent entrevoir une toile d’associés russes, émiratis et sud-africains. Officiellement, Zingman n’apparaît que comme simple intermédiaire technique. Officieusement, il incarne cette élite nomade qui prospère à l’interstice des sanctions occidentales et des besoins d’infrastructures africaines. Son atterrissage à Abuja illustre la porosité entre diplomatie économique et mise à profit de zones grises réglementaires.
La chronologie scolaire contestée à Chicago
À la Chambre des représentants, l’opposition nigériane a interpellé le président : « Monsieur le Président, comment se fait-il qu’un camarade de promotion en 1979 dirige aujourd’hui une entreprise créée en 2014 ? » Bola Tinubu a répondu, sûr de lui, avoir « partagé un amphithéâtre de macro-économie » avec Zingman à Chicago State University. Le problème, selon la direction de l’établissement, est qu’aucun Alexander Zingman n’apparaît dans les registres entre 1975 et 1985 (Chicago Tribune).
Cette discordance nourrit un soupçon plus large : celui d’une accointance forgée bien après les bancs d’école, possiblement dans les couloirs des foires d’armement de Dubaï. En diplomatie présidentielle, l’argument biographique sert souvent de cache-nez à la realpolitik. En l’espèce, il illustre la difficulté des jeunes démocraties africaines à concilier transparence et vitesse de décision dans l’attribution de marchés stratégiques.
Un réseau d’affaires s’étendant de Minsk à Abuja
Le montage financier du contrat de 70 millions $ repose sur une cascade de sociétés-écrans basées à Chypre, aux Émirats arabes unis et au Qatar, selon un fonctionnaire du ministère nigérian des Finances ayant requis l’anonymat. L’entreprise pivot, Aftrade DMCC, a déjà fourni des tracteurs biélorusses au Zimbabwe et des wagons-citerne au Mozambique, glanant la réputation d’opérateur « opportuniste mais efficace » (Bloomberg).
Côté biélorusse, le diplomate Mikhaïl Portnoy évoque « l’exportation de l’ingénierie post-soviétique », doublée d’une volonté de Minsk de s’arracher aux sanctions européennes. En optant pour un financement adossé à une banque qatarie, le duo Tinubu-Zingman contourne les marchés occidentaux, misant sur la concurrence entre institutions du Golfe pour se financer. Cette approche séduit certains think tanks à Abuja, qui y voient un moyen de diversifier les partenaires, mais elle inquiète le Trésor américain déjà attentif aux flux mixtes pétrole-armes en provenance de l’espace postsoviétique.
Les zones d’ombre du contrat de 70 millions de dollars
Officiellement, la somme couvre l’achat de mini-centrales au gaz destinées à stabiliser le réseau électrique du delta du Niger. Pourtant, plusieurs gouverneurs d’État affirment n’avoir jamais été consultés sur l’emplacement des installations ni sur le calendrier de mise en service. Le Conseil pour la régulation des marchés publics déplore l’absence d’appel d’offres international, ce qui contrevient à la loi de 2007.
Le président Tinubu se retranche derrière la clause d’urgence énergétique, invoquant l’instabilité du réseau et la fuite de capitaux vers les générateurs diesel privés. Les analystes redoutent, eux, un détournement de fonds comparable à l’affaire Halliburton de 2004. « Nous ne pouvons plus nous payer le luxe d’appels d’offres à rallonge », tranche un proche conseiller du président. Mais l’argument peine à convaincre une opinion publique marquée par l’effort récent de Washington pour rapatrier les avoirs d’Abacha. Le spectre de la corruption plane, accentué par l’opacité du rôle exact de Zingman.
Implications diplomatiques pour le Nigeria et la CEDEAO
Au-delà du rififi financier, la présence d’un homme d’affaires perçu comme proche du complexe militaro-industriel biélorusse vient compliquer la posture régionale d’Abuja. La CEDEAO, déjà sur la corde raide face aux juntes sahéliennes, voit son chef de file se lier à un partenaire sous sanctions potentielles de l’Union européenne. L’administration Biden observe l’affaire « avec intérêt », selon un diplomate basé à Lagos, rappelant que le Nigeria est bénéficiaire de programmes Power Africa susceptibles d’être reconsidérés.
À Minsk, l’affaire est perçue comme une ouverture précieuse vers l’Afrique anglophone. Reste que tout faux-pas pourrait aggraver la perception d’Abuja auprès de ses partenaires occidentaux, à l’heure où les capitaux verts se raréfient. Tinubu joue donc une partie d’échecs à plusieurs bandes : sécuriser une solution énergétique rapide, préserver la réputation de la première économie d’Afrique et démontrer qu’elle peut choisir librement ses alliés. Les prochaines semaines diront si le « camarade » Zingman sera catalyseur de modernisation ou nouveau symbole des défaillances de gouvernance.