Le retour discret de la finance de développement en Afrique de l’Est
Alors que les banques multilatérales rivalisent d’annonces spectaculaires, la Banque de développement de l’Afrique de l’Est (EADB) a choisi la sobriété : un prêt concessionnel de 30 milliards de shillings tanzaniens, soit près de 11 millions USD, accordé à TIB Development Bank. L’enveloppe paraît modeste, mais elle illustre un mouvement plus vaste. Sous l’effet cumulé du ralentissement post-pandémique et de la remontée des coûts d’emprunt sur les marchés internationaux, les institutions régionales reprennent la main afin de sécuriser des financements de proximité, moins exposés aux aléas géopolitiques globaux. Dans les couloirs du siège de l’EADB à Kampala, un cadre confie que « le mot d’ordre est désormais l’agilité ».
TIB–EADB : chronologie d’un accord pensé pour les PME
Filiale à 100 % de l’État, TIB Development Bank incarne depuis 1970 la volonté de Dodoma de façonner un outil souverain de politique industrielle. En officialisant le 24 juin l’obtention du prêt, la directrice générale, Neema Mwingira, a insisté sur « des conditions financières suffisamment souples pour parler au secteur privé ». Les prêts relais que la banque distribuera pourront s’étaler sur quinze ans, horizon rare pour des PME qui peinent à dépasser le cap des trois années d’existence. L’EADB, elle, sécurise sa propre liquidité grâce à une ligne de 5,2 milliards de shillings levée auprès du Fonds de l’OPEP pour le développement international, un mécanisme de syndication qui lui permet de diluer le risque tout en maintenant un coût moyen compétitif.
Des secteurs ciblés pour un impact macroéconomique calibré
Le ticket de 11 millions USD sera ventilé vers des PME actives dans l’agro-transformation, les industries extractives, l’énergie ou encore la tech, soit autant de « domaines prioritaires » listés dans la Vision 2025. Le ministère de l’Industrie parie sur un effet de levier supérieur à 1 : 5, jugeant que chaque dollar prêté générera cinq dollars d’investissement total. L’expérience passée conforte cet optimisme : en 2014, un financement de 20 millions USD avait permis la construction d’une usine de café à Kagera et d’une unité d’égrenage de coton à Mwanza, deux sites qui emploient désormais plus de 800 personnes. Les économistes de la Banque de Tanzanie observent qu’une telle profondeur de maturité des prêts réduit la vulnérabilité des jeunes entreprises aux chocs climatiques et aux fluctuations des cours des matières premières.
Vision 2025 et Agenda 2063 : le maillon manquant de l’intégration régionale
En s’alignant sur la Vision 2025, l’EADB soigne également sa compatibilité avec l’Agenda 2063 de l’Union africaine. Le financement conjoint des secteurs manufacturier et minier sert un double objectif : substituer les importations tout en consolidant la chaîne de valeur régionale. Selon le think tank Economic and Social Research Foundation, 62 % des PME tanzaniennes importent encore leurs intrants industriels. La nouvelle ligne de crédit entend inverser la courbe. Pour la secrétaire permanente au ministère des Finances, Mary Maganga, « c’est moins la taille des projets que leur cohérence régionale qui déterminera l’allocation finale ». La Tanzanie, qui assure en 2024 la vice-présidence de la Communauté d’Afrique de l’Est, voit dans ce dispositif un argument supplémentaire au service d’une diplomatie économique proactive.
Diplomatie du chéquier ou stratégie de long terme ?
Reste la question de la soutenabilité. Les prêts concessionnels améliorent la marge de manœuvre budgétaire à court terme, mais ils créent une dépendance si les capacités d’absorption du secteur privé ne suivent pas. Certains analystes rappellent que le ratio prêt-sur-dépôt des banques tanzaniennes flirte déjà avec 90 %. Les autorités rétorquent que la fenêtre actuelle est historique : l’arrivée des corridors logistiques liés au port de Bagamoyo et l’achèvement de la ligne ferroviaire Standard Gauge Railway devraient accroître la demande de services industriels locaux. Dans ce contexte, les 11 millions USD accordés à la TIB font figure de signal, voire de test grandeur nature. Dodoma espère démontrer qu’une stratégie combinant patience financière et ciblage sectoriel peut, à terme, réduire le déficit courant et consolider la monnaie. À la clef, une plus grande autonomie stratégique, objectif dont les diplomates tanzaniens ne font plus mystère dans les salles de négociation régionales.