Le pari de la stabilité monétaire face aux remous géopolitiques
Dans un paysage international brouillé par les chocs d’offre successifs et les rivalités stratégiques, le Conseil de la politique monétaire de Bank Al-Maghrib a reconduit, le 24 juin, un taux directeur de 2,25 %. Cette décision, annoncée à l’issue de la deuxième réunion trimestrielle de l’année, s’inscrit dans une stratégie de « stabilité vigilante », selon l’expression d’un haut responsable de la banque centrale rencontré à Rabat. L’institution marocaine estime que le différentiel de taux réel demeure suffisant pour ancrer les anticipations d’inflation tout en préservant la dynamique du crédit, alors que plusieurs homologues africaines ont, ces derniers mois, resserré leur politique afin de juguler la dépréciation de leurs devises.
Le gouverneur Abdellatif Jouahri, rarement avare de formules imagées, a rappelé que « la tempête est à nos portes » en évoquant la persistance des conflits au Proche-Orient et la fragmentation commerciale globale. Pourtant, le Maroc affiche un cadre macroéconomique relativement solide : déficit budgétaire contenu à 4,5 % du PIB en 2023, réserve de change dépassant six mois d’importations et inflation ramenée à 1 % projeté pour 2025. Sur ce socle, la banque centrale arbitre entre le risque de laisser filer les prix à moyen terme et celui d’étouffer une reprise encore inégale.
Une croissance non agricole propulsée par l’investissement public
Le maintien d’un coût du crédit modeste doit accompagner le grand chantier d’infrastructures lancé par Rabat, depuis la ligne à grande vitesse Kenitra-Marrakech jusqu’au port Nador West Med. Ces programmes, adossés à un afflux d’IDE du Golfe et d’Europe du Nord, expliquent la prévision de croissance non agricole de 4,6 % en 2025 puis 4,4 % en 2026, avancée par la direction des études de Bank Al-Maghrib.
Le ministère de l’Équipement assure que près de 40 % des appels d’offres routiers lancés en 2024 concernent les corridors logistiques destinés au marché africain. Pour l’économiste Najat Belkadia, « le royaume cherche moins à doper sa demande interne qu’à se positionner comme plateforme industrielle intermédiaire entre l’Europe et l’Afrique de l’Ouest ». La continuité de la politique monétaire accommodante soutient cette ambition. Néanmoins, la soutenabilité de la dette publique – attendue à 70 % du PIB fin 2025 – demeure scrutée par les marchés, d’autant que la transition verte exigera des financements supplémentaires estimés à 3 % du PIB annuel.
Inflation contenue, prudence affichée
Le scénario central de la banque centrale table sur une inflation retombant à 1 % en moyenne en 2025, puis se réinstallant à 1,8 % en 2026. Cette modération reflète la normalisation des cours internationaux de l’énergie et l’appréciation récente du dirham face à l’euro. Toutefois, les autorités rappellent que ces projections reposent sur une récolte céréalière de 44 millions de quintaux, hypothèse jugée « optimiste mais plausible » par la Fédération nationale des négociants en grains.
Du côté des anticipations, les analystes financiers sondés par la banque centrale misent sur un taux d’inflation à huit trimestres de 2,3 %. L’ancrage reste donc solide. Pour autant, Bank Al-Maghrib conserve la faculté de relever son taux si les tensions sur le fret maritime – exacerbées par les attaques en mer Rouge – venaient à renchérir durablement le panier d’importations marocain. L’équation est délicate : protéger le pouvoir d’achat sans compromettre l’attractivité du royaume pour les investisseurs recherchant un environnement prévisible.
Quelle marge diplomatique pour le dirham ?
Au-delà de la macroéconomie, la décision du 24 juin s’inscrit dans une diplomatie du « soft currency power ». Depuis l’élargissement progressif de la bande de fluctuation du dirham amorcé en 2018, Rabat cultive une flexibilité prudente de son régime de change. Selon un diplomate européen, « la stabilité monétaire marocaine apporte une rare ancre de confiance aux entreprises qui reconfigurent leurs chaînes d’approvisionnement hors d’Asie ».
Cette crédibilité se mue en levier d’influence dans les enceintes régionales, de la Banque africaine de développement à la Ligue arabe. Le message implicite est clair : alors que l’instabilité financière mine plusieurs économies sahéliennes, le Maroc se présente comme un pôle de résilience adossé à des institutions solides. Le maintien du taux directeur cristallise ainsi une stratégie d’image, autant qu’un choix technique.
Vers un policy-mix plus nuancé en 2025-2026
Si la conjoncture se confirme, un cycle graduel de resserrement pourrait s’ouvrir à l’horizon 2026, lorsque la croissance aura consolidé son rythme au-delà de 4 % et que les pressions salariales, déjà visibles dans les secteurs exportateurs, se diffuseront au reste de l’économie. Le ministère des Finances prépare, selon nos informations, une réforme de la grille de subventions aux carburants qui, combinée à la poursuite de la décompensation du sucre, pourrait déplacer le fardeau inflationniste vers les ménages urbains.
Dans cette perspective, le gouvernement Akhannouch devra orchestrer un policy-mix délicat : ajuster sélectivement la dépense sociale, préserver la compétitivité externe et, surtout, maintenir la confiance des bailleurs multilatéraux. L’annonce récente d’un nouveau prêt de précaution et de liquidité du FMI, en négociation avancée, signale l’intention de Rabat de sécuriser une ligne de défense supplémentaire sans sacrifier ses marges de manœuvre souveraines. Bank Al-Maghrib, en gardienne de la crédibilité monétaire, s’assure que les instruments restent affûtés, quitte à laisser le taux directeur immobile un trimestre de plus.
Épilogue d’une décision moins anodine qu’il n’y paraît
La reconduction du taux directeur à 2,25 % ne se résume pas à un geste technique. Elle éclaire la philosophie économique d’un pays qui, tout en aspirant à un statut de hub régional, refuse de sacrifier la stabilité monétaire sur l’autel de la croissance. Dans les allées des chancelleries, l’orthodoxie de Bank Al-Maghrib nourrit la perception d’un Maroc discipliné, en contraste avec les ajustements erratiques observés ailleurs sur le continent. Les diplomates voient dans cette constance un signal de fiabilité, pertinent à l’heure où les partenaires cherchent des ancrages solides dans un environnement international fragmenté.
Au-delà des chiffres, la décision du 24 juin rappelle qu’en géopolitique comme en finance, l’immobilisme peut être une forme d’action. Pour Rabat, la pause monétaire devient ainsi un outil de négociation silencieux, au service d’une ambition plus large : faire converger crédibilité macroéconomique et influence régionale.