Une dépendance commerciale mesurée
Les sonorités d’un retour au protectionnisme se font de nouveau entendre à Washington, et pourtant, dans les chancelleries d’Afrique centrale, nul vent de panique. Avec seulement 2,1 % de ses exportations totales destinées au marché américain, la Communauté économique et monétaire de l’Afrique centrale dispose d’un matelas d’amortissement appréciable, loin des dépendances structurelles observées vis-à-vis de l’Union européenne ou de la Chine. Les diplomates de la sous-région soulignent que le faible poids du marché américain limite d’emblée la portée mécanique de toute hausse tarifaire.
Il n’en demeure pas moins que certaines niches, à commencer par les hydrocarbures et le bois, entretiennent des chaînes de valeur transcontinentales qui pourraient subir un réajustement de compétitivité. C’est autour de ces segments, jugés stratégiques pour la République du Congo et ses voisins, que se cristallise l’attention des analystes. « L’impact absolu sera contenu, mais le signal est clair : la diversification n’est plus une option, c’est un impératif », confie un haut fonctionnaire congolais sous couvert d’anonymat.
Le rôle anticipateur de la BEAC
Consciente de la nécessité d’une action concertée, la Banque des États de l’Afrique centrale a pris l’initiative de réunir, dès le 24 juillet, chercheurs, ministres et banquiers centraux. Organisée en visioconférence depuis Yaoundé, la première Journée économie et finance fut l’occasion de dresser un état des lieux sans complaisance, tout en privilégiant une lecture apaisée des rapports de force. Pour la BEAC, il s’agit moins de contester l’option unilatérale américaine que d’en circonscrire les effets collatéraux sur la liquidité régionale et la stabilité des prix.
Les équipes techniques ont ainsi passé au crible divers scénarios, allant d’un choc temporisé à un relèvement pérenne de 10 à 13 % sur les produits entrant aux États-Unis. Selon les calculs présentés, la variation potentielle des réserves de change demeurerait inférieure à un demi-milliard de dollars sur un horizon de deux ans, soit une incidence jugée « gérable » par le gouverneur Abbas Mahamat Tolli, qui plaide pour « un front monétaire uni, adossé à une diplomatie économique proactive ».
Des secteurs stratégiques en première ligne
Le pétrole, qui représente plus de 60 % des recettes d’exportation du Congo-Brazzaville, constitue naturellement le baromètre principal. Bien que les cargaisons congolaises se dirigent majoritairement vers l’Asie et l’Europe, une minoration, même symbolique, de la marge réalisable sur le brut expédié vers la côte est des États-Unis pèserait sur la trésorerie de certaines joint-ventures. Les sociétés forestières, quant à elles, redoutent un renchérissement comparable sur des essences prisées comme l’okoumé ou le sipo.
Face à cette éventualité, les gouvernements de la sous-région adoptent un discours de mobilisation. À Brazzaville, le ministère des Affaires étrangères rappelle que la tutelle conjointe du ministère des Finances et de l’Industrie prépare depuis plusieurs mois un cadre d’incitation destiné aux PME de transformation locale du bois, afin de capter davantage de valeur ajoutée en amont. L’objectif, porté par le président Denis Sassou Nguesso dans ses orientations stratégiques, est de transformer une contrainte exogène en accélérateur de modernisation.
Diversifier pour mieux rebondir
Les économistes réunis par la BEAC ont abondamment cité l’exemple des Émirats arabes unis, qui ont su convertir leurs rentes pétrolières en plates-formes logistiques et financières de premier plan. Sans tomber dans la comparaison hâtive, la Cémac dispose d’atouts homologues : un marché de près de cinquante millions d’habitants, un potentiel hydrique inexploité et des gisements miniers encore sous-explorés. L’enjeu consiste désormais à amplifier l’intégration sous-régionale et à fluidifier la circulation des biens, afin d’absorber les chocs externes par la demande interne.
Cette recomposition passe par la densification des corridors routiers et ferroviaires, la mutualisation des agences de promotion des investissements et la simplification des procédures douanières intracommunautaires. Selon une simulation de la Commission de la Cémac, un gain de deux jours sur les délais de passage portuaire permettrait de neutraliser près d’un tiers de la perte de compétitivité induite par la taxe américaine. « Conjuguer discipline macroéconomique et audace entrepreneuriale : tel est le maître-mot », résume Guy Innocent Beffo, consultant invité.
Vers une diplomatie économique plus audacieuse
Au-delà du registre technique, la réponse attendue s’inscrit dans une logique de projection. Les capitales d’Afrique centrale entendent parler d’une seule voix dans les fora multilatéraux, qu’il s’agisse de l’Organisation mondiale du commerce ou de la African Continental Free Trade Area. Cette harmonisation du discours doit éviter toute lecture fragmentée qui affaiblirait la position collective. Déjà, le Congo appuie l’idée d’une task-force chargée de prospecter de nouveaux débouchés en Amérique latine et au Moyen-Orient, illustrant une diplomatie économique fondée sur la complémentarité plutôt que l’affrontement.
En toile de fond, les autorités congolaises poursuivent les réformes structurelles engagées dans le cadre du Plan national de développement 2022-2026. La modernisation des chaînes de valeur agricoles, l’essor des services numériques et la consolidation du secteur financier national sont présentés comme des remparts tangibles contre les volatilités de l’arène commerciale internationale. Aussi, la réforme du code des investissements, adoptée en juin, prévoit des incitations fiscales accrues pour les acteurs exportateurs, démontrant une volonté affirmée de s’arrimer aux standards mondiaux sans sacrifier la souveraineté économique.
Rien n’indique que la trajectoire de hausse tarifaire à Washington demeure inchangée sous les futures administrations, mais la Cémac, guidée par une coordination monétaire solide et par l’engagement renouvelé de ses États membres, entend transformer l’incertitude en catalyseur de modernisation. L’équation est certes délicate, toutefois les signaux convergent : la sous-région n’affronte pas une crise existentielle, mais l’opportunité de remodeler son insertion dans la globalisation sur des bases plus équilibrées. Dans ce dessein, l’exemple du Congo-Brazzaville, conjuguant prudence budgétaire et ouverture stratégique, constitue un repère pour les capitales voisines.