Etat des lieux de la santé mentale au Congo
Selon des estimations reprises par plusieurs ONG, environ sept Congolais sur cent décèderaient chaque année par suicide, un chiffre qui préoccupe les soignants et rappelle l’urgence de renforcer la prévention.
L’urbanisation rapide, la précarité économique et la persistance de tabous culturels sur la dépression exposent particulièrement les 15–35 ans, tranche d’âge majoritaire dans les statistiques collectées par l’association Psycho-santé Solidarité.
La Direction générale de la santé publique, soutenue par l’OMS, insiste sur l’importance de la santé mentale dans les plans nationaux et multiplie les campagnes de sensibilisation dans les lycées et universités.
Pour le psychologue et enseignant-chercheur Jean Didier Mbelé, « la société congolaise reconnaît progressivement que le suicide n’est pas une fatalité mais un drame évitable à condition de lever le silence autour de la détresse psychique ».
Signes d’alerte à ne pas ignorer
Irritabilité soudaine, retrait social, discours fatalistes ou recherche d’objets dangereux font partie des signaux les plus fréquemment repérés avant un passage à l’acte, expliquent les spécialistes.
Michel Dzalamou, psychologue-clinicien et président de Psycho-santé Solidarité, rappelle qu’« un appel au secours se cache souvent derrière des plaisanteries macabres ou un don subit d’objets personnels ».
Les proches qui remarquent ces changements sont invités à questionner la personne sans la juger, à écouter activement ses ressentis et à la diriger vers un professionnel dès les premiers doutes.
« Nommer la souffrance est déjà un acte thérapeutique », ajoute Jean Didier Mbelé, qui encourage les parents à dialoguer même lorsque l’adolescent refuse de s’exprimer ouvertement.
Rôle clé des psychologues et du réseau social
Le premier secours est psychologique : établir rapidement une relation de confiance permet de contenir la crise et d’évaluer le risque immédiat.
Dans les cas plus sévères, les psychologues travaillent de concert avec les services de psychiatrie des hôpitaux de Brazzaville et Pointe-Noire pour prescrire, si nécessaire, un suivi médicamenteux.
L’entourage reste toutefois le premier maillon d’une chaîne protectrice. « Il ne faut pas être indifférent devant la souffrance de l’autre », insiste Michel Dzalamou, qui plaide pour une empathie sociale active.
Enjeux culturels et économiques de la prévention
Les raisons d’un passage à l’acte diffèrent selon les contextes. En Afrique centrale, l’impact du chômage des jeunes, du poids familial et des croyances spirituelles est plus marqué qu’en Occident, soulignent les deux experts.
Une consultation privée coûte en moyenne 10 000 FCFA, somme parfois dissuasive. Plusieurs municipalités réfléchissent donc à subventionner des permanences gratuites dans les centres de santé intégrés.
La sensibilisation doit aussi s’appuyer sur les leaders religieux et communautaires, considérés comme figures de confiance capables de relayer des messages de bienveillance et de déstigmatisation.
Services de soutien disponibles
L’université Marien Ngouabi propose depuis 2022 une cellule d’écoute ouverte aux étudiants du campus central, animée par des enseignants-psychologues volontaires.
Psycho-santé Solidarité gère une ligne téléphonique accessible de 8 h à 22 h, ainsi que des groupes de parole hebdomadaires au Centre national de santé mentale de Brazzaville.
Plusieurs cliniques privées de Pointe-Noire et Dolisie ont également noué des partenariats avec des associations pour offrir un entretien gratuit avant toute prise en charge prolongée.
Vers une culture de l’empathie
Dans son dernier rapport, l’OMS rappelle que parler du suicide, loin de l’encourager, permet d’en réduire la fréquence; une position que partagent les psychologues congolais.
Les médias sont appelés à diffuser des messages responsables, évitant toute description détaillée des méthodes et privilégiant la mise en avant des ressources d’aide disponibles.
Au-delà de la sphère médicale, bâtir une société solidaire passe par l’école, la famille et le monde du travail, où la reconnaissance du mal-être doit devenir une priorité.
« Aimons-nous les uns les autres », conclut Michel Dzalamou, reprenant un principe d’éducation chrétienne pour rappeler que chaque geste de soutien peut sauver une vie.
L’espoir tient enfin aux initiatives de jeunes bénévoles qui créent des clubs de discussion, prouvant qu’une génération consciente de ces enjeux peut transformer la prévention du suicide en véritable projet citoyen.
