Brazzaville, épicentre d’une ambition transcontinentale
Annoncé officiellement à Brazzaville lors d’un entretien entre l’ambassadeur d’Italie Enrico Nunziata et le ministre congolais des Postes, des Télécommunications et de l’Économie numérique, Léon Juste Ibombo, le choix du Congo comme pays pilote du Plan Mattei résonne déjà comme un signal politique fort. Prenant appui sur le mémorandum d’entente signé à Rome le 19 juin, les deux capitales entendent transformer ce partenariat en vitrine des nouvelles proximités euro-africaines.
Au-delà des formules protocolaires, la mise à l’agenda d’un soutien potentiel à 500 000 entreprises innovantes incarne une diplomatie de projets. Sous l’impulsion du président Denis Sassou Nguesso, l’exécutif congolais place l’économie numérique parmi les vecteurs prioritaires de diversification. L’Italie, pour sa part, cherche à superposer ses compétences industrielles à des relais africains prometteurs, dans une logique de co-développement qui épouse la feuille de route du ministère italien des Affaires étrangères.
Réduire la fracture du financement africain
Selon des données agrégées par la Banque africaine de développement, plus de 80 % des capitaux orientés vers les jeunes pousses du continent convergent encore vers l’Égypte, le Nigeria, l’Afrique du Sud et le Kenya. En positionnant le Congo comme pôle d’attraction, Rome et Brazzaville ambitionnent de corriger cette asymétrie, tout en sécurisant un pipeline de projets à forte valeur ajoutée.
La démarche s’articule autour d’instruments conjoints : fonds de capital-risque hybrides, garanties souveraines ciblant les premiers tours de table et lignes de crédit bonifiées opérées par des banques italiennes. Les autorités congolaises insistent sur la transparence du dispositif, lequel sera piloté par une task-force mixte chargée d’associer jeunes entrepreneurs, investisseurs privés et agences de développement.
Capital humain et circulation des compétences
Au cœur du modèle se trouvent les talents. « Notre priorité est d’offrir à la jeunesse congolaise un pass permettant d’accéder aux filières de pointe sans devoir s’expatrier durablement », explique un haut fonctionnaire du ministère de l’Enseignement supérieur. L’accord prévoit des bourses de codéveloppement, des programmes de résidence dans les incubateurs milanais et turinois, ainsi que des ateliers de formation in situ animés par des universités italiennes partenaires.
Cette circulation bidirectionnelle des compétences nourrit un écosystème où la valeur ajoutée reste, in fine, ancrée localement. Les domaines ciblés – santé connectée, logistique verte, agriculture de précision – correspondent aux besoins essentiels identifiés dans le Plan national de développement congolais, tout en offrant des débouchés globaux.
Diplomatie économique et stabilité régionale
L’initiative s’inscrit dans une conjoncture où la diversification économique est perçue comme un rempart contre les volatilités des marchés des matières premières. Pour Brazzaville, l’entrepreneuriat numérique constitue une assurance-vie macroéconomique, susceptible d’atténuer les cycles pétroliers et de consolider la stabilité sociale. « La start-up n’est plus seulement un vecteur de croissance ; elle devient un instrument de diplomatie préventive », glisse un analyste de la Commission de l’Union africaine.
Côté italien, le Plan Mattei s’affirme comme la déclinaison sectorielle d’un narratif géopolitique plus large : replacer la Méditerranée élargie au cœur d’un partenariat de prospérité partagée. Ce faisant, Rome réactive la tradition d’une diplomatie économique capable de conjuguer intérêts nationaux et bénéfices collectifs.
Vers l’émergence d’un hub digital d’Afrique centrale
À moyen terme, les autorités congolaises visent la consolidation d’un hub régional capable d’irriguer l’Afrique centrale. Le choix de Brazzaville comme tremplin répond à des atouts logistiques : fibre optique transfrontalière, positionnement fluviomaritime et cadre juridique en pleine modernisation. De nouvelles zones économiques spéciales, déjà annoncées dans la périphérie de la capitale, offriront des régimes incitatifs articulés autour de l’investissement responsable.
Si les projections chiffrées circulent – 20 000 emplois directs escomptés d’ici cinq ans selon l’Agence congolaise pour l’économie numérique – le gouvernement insiste sur la prudence. Le ministre Léon Juste Ibombo préfère évoquer « un processus incrémental, fondé sur des résultats mesurables ». Cette approche graduée devrait rassurer les bailleurs tout en consolidant la crédibilité du Congo comme terre d’opportunités tech.
Un agenda partagé d’innovation inclusive
En filigrane, c’est la question de l’inclusion qui demeure centrale. Le Plan Mattei intègre un volet spécifique consacré à l’entrepreneuriat féminin et rural, avec un objectif de 40 % de bénéficiaires issus de zones périphériques. Cette orientation s’aligne sur les objectifs de développement durable et renforce la cohérence internationale de la stratégie congolaise.
À Brazzaville comme à Rome, les décideurs soulignent que l’innovation ne saurait se réduire à la simple injection de capitaux. Elle nécessite un maillage institutionnel, une stabilité règlementaire et un environnement socio-culturel propice à la prise de risque maîtrisée. Le Congo, fort de son capital humain et de ses réformes récentes, dispose aujourd’hui d’une fenêtre d’opportunité rare pour inscrire sa trajectoire dans la durée.
Perspectives et signaux de confiance
Le déploiement opérationnel du projet sera jalonné d’évaluations trimestrielles afin d’ajuster les mécanismes de soutien. Plusieurs fonds souverains africains ont déjà manifesté leur intérêt pour des co-investissements, tandis que des géants européens du numérique envisagent d’adosser des accélérateurs spécialisés à l’écosystème congolais.
En définitive, la « start-upmania » congolaise actée par le Plan Mattei traduit une convergence d’ambitions. Elle conforte la place de Brazzaville comme acteur de premier plan dans l’agenda numérique du continent et offre à l’Italie une vitrine opérationnelle de sa nouvelle diplomatie africaine. Pour les jeunes entrepreneurs congolais, l’horizon s’élargit : le passage de l’idée à l’impact bénéficie désormais d’un corridor bilatéral solidement balisé.