Dakar s’affirme comme carrefour ouest-africain de l’innovation
Sous un ciel de juillet encore tempéré, le grand amphithéâtre de la Délégation générale à l’Entreprenariat Rapide des Femmes et des Jeunes affichait complet. Capitaines d’industrie, représentants d’institutions de développement et diplomates y ont pris place pour une seconde édition du Demo Day Challenge+ Dakar qui, de l’avis des participants, gagne chaque année en densité et en professionnalisme. Le simple fait que des fonds de capital-risque basés à Abidjan, Lagos ou Paris aient effectué le déplacement témoigne d’un changement d’échelle : Dakar n’est plus seulement une capitale politique, elle devient une place tournée vers le numérique et l’investissement technologique.
Visant à « bousculer les frontières de la créativité », selon les mots d’Amadou Sarr, délégué général de la DER/FJ, le programme Challenge+ Dakar se veut une réponse à la question récurrente du financement de l’innovation en Afrique de l’Ouest. Les chiffres avancés par HEC Paris soulignent que les vingt-et-un entrepreneurs coachés depuis janvier ont déjà créé près de cent cinquante emplois directs, un indicateur suivi avec attention par les partenaires institutionnels.
Alliance stratégique entre académiques, pouvoirs publics et partenaires extérieurs
Le dispositif repose sur une articulation inédite entre formation entrepreneuriale de haut niveau et accompagnement public. HEC Paris offre un encadrement académique qui, selon le professeur Cécile Kharoubi, « transpose au contexte africain l’exigence méthodologique et la rigueur analytique d’un MBA ». La DER/FJ, quant à elle, sécurise un accès rapide aux lignes de crédit et aux garanties souveraines, tandis que l’Ambassade de France fournit un soutien diplomatique et logistique, renforçant ainsi l’attractivité de la manifestation.
Ce triangle de coopération est perçu comme vertueux. Pour le ministre sénégalais de l’Économie numérique, Moussa Bocar Thiam, « cette synergie confère à nos entrepreneurs un passeport de crédibilité qui rassure les investisseurs internationaux et confirme la capacité du Sénégal à orchestrer sa propre transformation digitale ».
Des solutions enracinées localement et calibrées pour le marché mondial
Les dix-sept start-ups se déploient sur un spectre de secteurs divers, de l’agritech à l’edtech, en passant par la culture numérique et l’immobilier intelligent. Toutes partagent une même logique : identifier un goulot d’étranglement local, puis élaborer un modèle d’affaires exportable. Ainsi, la plateforme de soutien scolaire Kër Learn mise sur un contenu pédagogique contextualisé aux curricula sénégalais tout en visant une extension francophone. De son côté, TerangaAgro introduit des capteurs bas coût pour l’optimisation de petites exploitations, un dispositif qui a déjà suscité l’intérêt d’ONG opérant au Sahel.
Cette stratégie d’« innovation frugale » fait écho aux observations de la Banque africaine de développement, qui voit dans l’adaptabilité des solutions africaines un atout face à des marchés exigeant des déploiements rapides et une résilience budgétaire.
Capitaux, mentorat et diplomatie économique : le trio gagnant
Au terme des présentations, plusieurs investisseurs ont annoncé des lettres d’intention totalisant près de cinq millions d’euros. Au-delà des montants, c’est la nature des partenaires qui retient l’attention : un fonds panafricain basé à Maurice, une société de corporate venture française opérant dans la fintech et une banque sous-régionale tournée vers la micro-assurance. Les entrepreneurs, souvent confrontés à des cycles de financement plus longs que leurs homologues européens, y voient un signe d’accélération.
Parallèlement, le corps diplomatique présent a souligné le rôle grandissant des initiatives privées dans la stabilisation macroéconomique. « Soutenir ces projets revient à consolider la sécurité alimentaire, l’inclusion financière et l’emploi des jeunes », rappelle un conseiller régional de l’Union européenne, soulignant la dimension géopolitique de l’innovation numérique.
Un effet d’entraînement pour l’économie sénégalaise et ouest-africaine
Les retombées ne se comptent pas seulement en investissements. L’impact sociétal, mesuré par des indicateurs tels que la création d’emplois qualifiés, le taux de bancarisation ou l’accès à des services de base, renforce la perception d’un cercle vertueux. Le gouvernement sénégalais, qui a engagé une stratégie « Digital Senegal 2025 », voit dans ces start-ups un levier pour atteindre un PIB numérique représentant 10 % du PIB national à l’horizon 2030.
Les économistes soulignent toutefois la nécessité d’un cadre fiscal stable et d’infrastructures robustes. L’engorgement logistique du port de Dakar, la question de la cybersécurité et la disponibilité de talents techniques demeurent des points de vigilance. Les organisateurs du Demo Day en sont conscients et insistent sur l’importance du dialogue public-privé pour maintenir le cap.
Vers une diplomatie de l’innovation et un modèle réplicable
À la clôture, un diplomate français évoquait une « Silicon Plateau » en gestation, empruntant à la fois aux codes de la Silicon Valley et à la culture de l’hospitalité sénégalaise. L’expression traduit l’espoir de voir le modèle Challenge+ essaimer dans la sous-région, du Cap-Vert au Burkina Faso. Plusieurs représentants ministériels ont d’ores et déjà exprimé leur intérêt pour accueillir une prochaine édition.
En guise de perspective, la directrice du programme, Nadine Dossou, rappelle que « l’innovation n’est pas un sprint d’une journée mais un marathon institutionnel ». Les mois à venir diront si la dynamique enclenchée par cette deuxième édition se muera en chaîne de valeur durable. Pour l’heure, l’enthousiasme des lauréats et la qualité des échanges laissent entrevoir une nouvelle ère où la diplomatie économique, l’éducation supérieure et l’investissement privé convergent pour façonner l’avenir numérique de l’Afrique de l’Ouest.