Cape Town, scène diplomatique stratégique
Le 22 juillet 2025, la brise fraîche de l’Atlantique contournait la silhouette massive de la Table Mountain lorsque Jean-Claude Gakosso, ministre congolais des Affaires étrangères, franchit les grilles de Tuynhuys, résidence officielle du président sud-africain. L’image, soigneusement relayée sur les réseaux sociaux, rappelle que l’ancienne cité du Cap est depuis longtemps un théâtre majeur des symboles africains, de l’ultime discours de Nelson Mandela aux sommets BRICS successifs. En sollicitant une audience avec Cyril Ramaphosa, Brazzaville réaffirme la densité d’un partenariat tissé dans le filigrane des luttes anti-apartheid et des médiations régionales.
Cette étape sud-africaine, qui succède à une escale à Luanda, s’inscrit dans une tournée méticuleusement orchestrée au nom du président Denis Sassou Nguesso. Le message transmis à Pretoria s’articule autour d’un objectif clair : rallier un soutien décisif à la candidature d’Édouard Firmin Matoko pour diriger l’UNESCO. Dans un contexte où les capitales mondiales scrutent les recompositions d’influence post-pandémie, la démarche congolaise donne à voir une diplomatie de proximité qui conjugue ancrage régional et projection multilatérale.
Le poids sud-africain au Conseil exécutif
Avec deux mandats successifs au Conseil exécutif de l’UNESCO, l’Afrique du Sud dispose d’un capital politique que personne ne néglige dans la course à la direction générale. Pretoria a souvent utilisé cette tribune pour défendre la restitution des biens culturels africains et la promotion des langues maternelles dans l’enseignement, positions convergentes avec celles de Brazzaville. Obtenir l’appui sud-africain équivaut donc à sécuriser un relais de légitimation à la fois technique et politique auprès d’autres membres influents tels que l’Inde ou le Brésil.
Selon une source diplomatique congolaise, « le président Ramaphosa a salué la cohérence de la candidature Matoko avec l’exigence croissante d’une gouvernance onusienne plus représentative ». Cette convergence n’est pas seulement symbolique : lors du dernier vote budgétaire à Paris, les deux délégations avaient déjà fait front commun pour défendre un accroissement des ressources consacrées à l’éducation numérique en Afrique. Le déplacement de Jean-Claude Gakosso vient donc formaliser, au plus haut niveau, une alliance active sur le terrain des priorités programmatiques.
Édouard Firmin Matoko, candidature continentale
Ancien directeur général adjoint pour la priorité Afrique et les relations extérieures de l’UNESCO, Édouard Firmin Matoko est un familier des arcanes de l’organisation. Polyglotte, doté de trois décennies d’expérience entre Paris, Bangkok et Addis-Abeba, il incarne la possibilité d’une lecture africaine des grands dossiers éducatifs et culturels. Son parcours réunit des thématiques chères au Sud global, notamment la protection des savoirs traditionnels et la transition numérique inclusive.
En présentant Matoko comme le « candidat de l’Afrique », Brazzaville devance une éventuelle dispersion des voix du continent. L’Union africaine, qui formalise habituellement son soutien unique quelques mois avant le scrutin, s’appuiera inévitablement sur les signaux en provenance de poids lourds diplomatiques tels que Pretoria ou Le Caire. Le passage de Cape Town vise donc à cristalliser une dynamique régionale avant la phase, plus heurtée, des tractations intercontinentales.
Un lobbying conforme à la vision de Brazzaville
Aujourd’hui, la diplomatie congolaise mise sur ce qu’un conseiller de la présidence décrit comme « l’intersection subtile entre solidarité africaine et crédibilité individuelle ». Denis Sassou Nguesso, souvent salué pour ses médiations dans le bassin du Congo, entend désormais projeter cette réputation conciliatrice au sein des enceintes multilatérales. L’appui à Matoko constitue un prolongement naturel de cette ambition, tout en offrant à Brazzaville une vitrine internationale susceptible d’attirer partenariats et investissements dans les secteurs créatifs et éducatifs.
Sur le plan méthodologique, le lobbying congolais combine influence traditionnelle et diplomatie numérique. Entre rencontres bilatérales, interventions ciblées auprès de groupes régionaux à New York et campagnes sur les réseaux professionnels, l’objectif consiste à susciter un réflexe de convergence autour d’une candidature percevant l’UNESCO comme « bien commun immatériel ». Cette approche, saluée par plusieurs observateurs à Paris, reflète une volonté d’arrimer l’Afrique à la gouvernance globale sans se départir d’un pragmatisme mesuré.
Perspectives vers la 43e Conférence générale
La succession à la direction générale sera scellée lors de la 43e Conférence générale, programmée à Samarcande à l’automne 2025. Dans les couloirs de l’UNESCO, nombre de diplomates pressentent un scrutin serré où l’équilibre Est-Ouest pourrait offrir un rôle d’arbitre à la composante africaine. La délégation congolaise s’emploie d’ici là à densifier son réseau d’alliances croisées, notamment en direction de l’Asie centrale et de l’Amérique latine, sensibilisées aux mêmes enjeux de préservation identitaire face à l’accélération numérique.
Au-delà de la seule bataille pour un poste, l’initiative de Brazzaville rappelle que la diplomatie culturelle demeure un levier soft power d’importance stratégique. En consolidant l’entente avec Pretoria, le Congo inscrit son action dans le long terme : faire de l’UNESCO un forum où les priorités africaines ne sont plus des notes en bas de page mais un corps de texte à part entière. À Cape Town, l’architecture de pierre ocre témoigne encore des compromis passés ; le rendez-vous de Samarcande dira si l’Afrique a, cette fois, écrit l’une des pages maîtresses.